Belgique : Une conférence négationniste avec la participation des mandataires PS, CDH, MR et CD&V
La conférence intitulée "Regard sur le prétendu génocide arménien" de l'historien négationniste turc Yusuf Halaçoglu, subsidiée indirectement par les pouvoirs publics belges, a finalement eu lieu ce jeudi (15/02/07) sans incident dans les locaux de la Diyanet (Fédération religieuse islamique turque) au 67 Chaussée de Haecht à Saint-Josse.
L'exposé de l'historien turc aura finalement duré un peu plus de 3 heures pour "prouver sur base de l'analyse historique dans les archives qu'on ne peut pas parler de génocide à propos des événements arméniens". Pour commencer, Yusuf Halaçoglu estime que "ce n'est pas aux historiens de dire si oui ou non il y a bien eu génocide mais aux instances juridiques. Etant donné que je ne suis pas juriste, je ne peux donc que vous donner mon avis d'historien." Et son avis sera sans ambiguïté à l'image du titre de sa conférence : "Regard sur le prétendu génocide arménien".
Le corps de l'exposé du conférencier se base sur la technique de la boîte à outils du négationniste déjà évoquée au Sénat belge par l'historien français Yves Ternon. Par la confrontation des sources contradictoires pour contester leur validité, la minimisation des données chiffrées sur base du manque de consensus, la réfutation des preuves en se focalisant entièrement sur des détails à contresens et par l'évocation des théories de complot contre la nation, un négationniste tente de démontrer que des faits établis n'ont jamais existé.
Ainsi, Yusuf Halaçoglu évoque à Bruxelles, cartographie à l'appui, "le contexte belliqueux de l'époque faisant suite à la Première Guerre mondiale où le pouvoir central faisait face à 4 fronts", "l'analyse du budget national ottoman contrôlé par les pays occidentaux", "le rôle néfaste des missionnaires chrétiens et particulièrement celui du Robert College américain comme étant la première école des missionnaires", "la collaboration des comités arméniens", "le jeu des pouvoirs impérialistes", "le pouvoir cosmopolite du régime non nationaliste (sic) du parti Ittihat ve Terakki", les "Arméniens non décédés de Musa Dag d'après les archives françaises" et le fameux "faux télégramme attribué à Talat Pacha". Un télégramme qui serait faux "parce que le logo de Talat Pacha n'est pas correct, sa signature n'est pas complète, le terme 'suret' n'est pas adéquat et le gouverneur de Bitlis y est mentionné comme le gouverneur d'Alep".
"Oui, il y a bien eu des attaques de brigands kurdes, arabes, circassiens ou turcs contre les Arméniens durant la déportation", concède faussement Yusuf Halaçoglu mais "les 1673 inculpés de ces crimes ont été punis par les tribunaux ottomans. Le fait que des personnes soient condamnées après les événements suffit déjà pour n'importe quel juriste de droit international pour conclure qu'il n'y a pas eu de génocide. Car, si vous planifiez et organisez un génocide, vous n'allez pas ensuite condamner des personnes pour les crimes que le pouvoir aurait organisés." L'historien compare ensuite "le nombre de mort arménien" avec "le nombre de décès par grippe dans d'autres pays à la même époque", il disqualifie les "archives consulaires américaines et anglaises car elles se basent entièrement sur des sources de missionnaires chrétiens" et il attaque évidemment ses détracteurs habituels comme Taner Akçam ou Orhan Pamuk.
Yusuf Halaçoglu répètera aussi la thèse officielle défendue par l'Etat turc dans ce dossier : "nous voulons l'ouverture des archives afin d'examiner ce sujet au sein d'une commission mixte internationale" en expliquant que "les archives ottomanes sont les plus accessibles du monde. Je vous donne ma parole que n'importe qui désirant enquêter sur ces archives aura accès le même jour aux documents" alors que les archives fermées seraient ceux de "Jérusalem, Boston et Erevan". Il évoquera également l'instruction judiciaire à son égard entamée en Suisse : "J'ai donné la même conférence en Suisse et les autorités de ce pays ont entamé une procédure judiciaire à mon égard en prétextant que j'ai tenu un discours raciste ou haineux à l'égard des Arméniens. Avez-vous l'impression que je tiens un discours raciste ? Avez-vous l'impression que je nie quoi que ce soit ? Je précise à chaque fois que je parle des comités arméniens et non des Arméniens en général. En plus, la justice suisse ne m'attaque pas parce que je refuse de reconnaître le prétendu génocide arménien mais sur base d'un prétendu discours raciste. C'est vrai, je ne m'appelle pas Orhan Pamuk, c'est peut-être pour cela que je n'ai pas droit à la défense. On me traite ensuite de négationniste".
Le journaliste ultranationaliste Yusuf Cinal lancera fièrement : "Nous sommes tous des négationnistes, mon professeur". Du fond de la salle, Halis Kökten, conseiller communal (CDH), "remercie le professeur pour sa conférence à Bruxelles et des explications éclairantes qu'il a bien voulu fournir. Ce débat est depuis un certain temps dans l'actualité et je me demande si nous ne sommes pas en retard par rapport à notre travail. En Belgique, le Sénat a adopté en 1998 une résolution reconnaissant le génocide arménien probablement parce qu'il n'y avait aucun élu turc dans cette assemblée, puis la pénalisation de la négation a été heureusement bloquée l'année dernière. Dans la perspective des prochaines élections, je lance un appel aux dirigeants des associations pour leur demander ce qu'ils comptent faire à ce propos".
Mais le moment le plus délirant de la soirée viendra, à mon avis, suite à l'intervention de Mustafa Öztürk conseiller communal (MR) à Schaerbeek et auteur d'un ouvrage négationniste : "Je vous souhaite la bienvenue à Bruxelles Monsieur le professeur et j'espère que vous n'êtes pas trop fatigué. Je confirme ce que vous avez déclaré au sujet de l'accessibilité des archives ottomanes car je les ai moi-même consultées. J'ai également lu la définition du génocide et sur base du texte juridique, je pense effectivement qu'il est non seulement faux de parler d'un génocide à propos des Turcs mais qu'en plus, après l'étude des documents, on peut vraiment parler d'un génocide perpétré par les Arméniens sur les populations turques." La presque totalité de la salle applaudit. Un deuxième intervenant embraye sur la même idée de "génocide perpétré par les Arméniens sur les Turcs" et la moitié de la salle applaudit une nouvelle fois. Yusuf Halaçoglu intervient cependant pour les contredire : "le terme de génocide est créé en 1948 et il ne peut donc s'appliquer rétroactivement. Vous ne pouvez donc parler de génocide mais bien de massacres", ajoute le professeur en oubliant que le génocide juif a été perpétré par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale soit avant 1948.
Entre 120 et 150 personnes ont assisté à cette conférence sur la démonstration de la négation du génocide arménien. Malgré les interpellations critiques de la plupart des dirigeants politiques et associatifs, il convient de noter la présence remarquée des conseillers communaux schaerbeekois Halis Kökten (CDH), Mahinur Özdemir (CDH), Mustafa Öztürk (MR), des candidats Ferhat Sahin Calisan (PS - Molenbeek) et Cevdet Yildiz (CDH-Saint-Josse) ainsi que de l'échevine socialiste de Saint-Josse Hava Ardiçlik qui remplace à ce poste l'échevin empêché et secrétaire d'Etat régional Emir Kir (PS), un négationniste reconnu pourtant par une décision judiciaire bruxelloise.
Le présentateur et co-organisateur de l'événement Hüseyin Dönmez (CD&V, ex-Agalev, gestionnaire du site internet Gündem) a également pris la peine de présenter l'ex-candidate FDF Derya Bulduk en sa qualité de "victime en Belgique du prétendu génocide arménien". Derya Bulduk fera office durant la soirée d'interprète bénévole en langue française pour le Président de la Société turque d'Histoire Yusuf Halaçoglu. A noter également la présence de l'ambassadeur de Turquie Fuat Tanlay ainsi que des représentants des associations organisatrices : EYAD (Association d'entraide d'Emirdag), BTSF (Fédération belge du sport turc), MADD (Association de la Pensée d'Atatürk à Mons), Belturk (asbl Yeni Belturk), BTIDV (Fondation religieuse islamique turque de Belgique) et TTK (Société turque d'Histoire).
Malgré les risques évidents, j'ai préféré assister en tant que journaliste indépendant à cette conférence afin de pouvoir relater les faits à partir d'une source primaire. "Ils vont te casser la tête ! Ils vont te casser la tête !", m'a répété une personne n'appréciant visiblement pas mon traitement journalistique. Plusieurs dirigeants m'ont également "sérieusement" mis en garde contre "mes préjugés" et "mes provocations" en me qualifiant de "soysuz" (personne sans origine). Je prends bonne note de ces avertissements. Mais je trouve curieux le raisonnement : C'est eux qui organisent une conférence intitulée "Regard sur le prétendu génocide arménien" et c'est moi qu'on accuse de provocation. Ce sont ensuite les mêmes qui invoquent la liberté d'expression tout en voulant m'empêcher d'exprimer mes propres opinions sur le sujet. Peut-on également invoquer la même liberté d'expression en Turquie étant donné que la reconnaissance du même génocide est actuellement pénalement poursuivie ?
A titre personnel, je trouve inutile, contre-productive et provocante l'organisation de cette quatrième conférence négationniste en l'espace d'une année par l'Association de la Pensée d'Atatürk en Belgique (BADD). S'il existe un seul problème qui devrait mobiliser la totalité des énergies au sein de la communauté turque, c'est bien le problème de l'intégration linguistique... à commencer par le conseil d'administration du BADD qui compte trop de Belges ne sachant s'exprimer dans une des langues du pays.
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