J'arrête !
J'ai accordé un entretien au supplément d'investigation (Reporter) du quotidien flamand De Morgen (27/10/07) où j'explique notamment que les problèmes découlant du retard linguistique et du regroupement familial ne peuvent être surmontés sans, notamment, passer par l'obligation d'apprendre une des langues du pays de résidence. La preuve ? La plupart des parents qui étaient invités à venir chercher leur gamin-casseur sympathisant loup-gris dans les commissariats de police ne comprenaient ni le français, ni le flamand. Comment voulez-vous encore leur expliquer que les manifestations étaient illégales et que les "jeunes" ont commis des actes de vandalisme intolérables ? C'est d'autant plus difficile que les médias turcs (essentiellement Hürriyet) n'ont presque pas évoqué les dégâts et les victimes en faisant croire que l'Etat policier belge arrêtait toute personne évoquant le mot "Turquie". Pire, pas un seul "responsable" politique ou associatif en Belgique n'a osé critiquer (en turc) ces jeunes arborant fièrement le drapeau de l'extrême droite.
De mon côté, la situation est devenue insupportable. Menaces et insultes, pression familiale et procès à charge dans les associations et cafés turcs, j'en ai marre de devoir expliquer des principes de base d'une société démocratique à des personnes qui refusent tout dialogue.
J'en parlais encore récemment avec un ami. "Ecoute Mehmet, tu as raison mais ce n'est plus la raison qui s'applique dans ce cas. Dans l'affaire Kir aussi, tu avais raison et la justice t'a aussi donné raison mais c'est finalement toi qui a perdu. Regarde les choses en face : Emir Kir n'a rien eu comme conséquence, il peut toujours tranquillement se balader avec son chauffeur tout en continuant à faire croire dans les cafés turcs que c'est toi qui l'a attaqué parce qu'il refusait de reconnaître le génocide arménien. C'est lui le gagnant car il a pu changer à lui seul la ligne du PS sur le génocide arménien même si on n'osera jamais ouvertement l'avouer au siège du parti. Tu révèles la présence d'un loups gris sur la liste PS à Schaerbeek ? Avec Laurette Onkelinx, c'est tout l'appareil du PS qui te déteste et te disqualifie. Tu gagnes en justice face à Kir, c'est Philippe Moureaux qui t'accuse d'imbécilité et de calomnie. Tu traduis les propos négationnistes des élus MR (Köse, Öztürk,...), c'est toi qu'on accuse de traîtrise. Tu relates le service militaire en Turquie d'un député SP.A, c'est toi qu'on accuse d'espionnage. Tu dénonces le communautarisme du CDH, tu deviens automatiquement persona non grata dans les débats. Tu relates le discours belliqueux d'Ergün Top (CD&V) contre la Belgique, aucune réaction de la part d'Yves Leterme. Les gars sont toujours en place, ils sont même parfois promus mais c'est toi qui ramasses en fin de compte", commente mon interlocuteur.
L'immobilisme politique, ou l'a-politisme, des dirigeants belges n'a effectivement que renforcé les discours autoritaires, les valeurs antidémocratiques et les propos négationnistes sur le terrain bruxellois. Un exemple : alors que la pénalisation des propos négationnistes a été bloquée au Sénat (par le PS et le CDH), sur le terrain bruxellois ce sont ceux qui reconnaissent le génocide arménien qui ont été punis manu militari. "Bon, Mehmet, tu savais quand même qu'ils allaient un jour te casser la gueule après tout ce que tu as déjà pu écrire sur la question arménienne. Concernant le propriétaire du café arménien qu'ils ont attaqué, il paraît que cette personne a été reconnue devant l'ambassade de Turquie alors qu'il manifestait pour la reconnaissance du génocide arménien. Il n'est donc pas tout à fait blanc non plus!", dit un observateur. Suis-je le seul à m'inquiéter de ce glissement dangereux soutenu par les dirigeants politiques de ce pays ?
Les dirigeants se rendent-ils compte des "modèles" politiques qu'ils sont en train de promouvoir pour de simples calculs électoralistes à court terme ? Par ailleurs, je ne suis toujours pas convaincu du gain électoral qui découlerait d'une campagne communautariste dans la niche ethnique et je suis prêt à faire le pur calcul électoraliste pour argumenter sur l'expérience contraire.
Bref, la classe politique et le système clanique empêchent donc l'émergence d'un journalisme d'investigation totalement indépendant des groupes de pression. "La Belgique n'aime pas les francs-tireurs mon cher ami", m'avait précisé mon ancien professeur à l'ULB. "Il n'y a pas de marché en Belgique francophone pour le style de journalisme que vous défendez. Vous êtes déjà très isolé, il ne sera pas très difficile de vous écarter définitivement du petit monde journalistique".
Ce sera donc mon dernier papier sur ce blog "Humeur allochtone" que j'avais lancé le 24/10/2003 (j'ai l'impression d'entendre un grand "ouf" de soulagement). L'idée était de promouvoir un journalisme d'investigation sur les affaires politiques belges (pas internationales) en jouant sur un maximum de transparence possible. Parallèlement, j'en avais marre de lire que "les allochtones" étaient comme-ci puis comme-ça sous la plume de certains journalistes ou élus qui n'y pigeaient généralement rien de la gestion des affaires "très étrangères". L'objectif était donc de faire "comme la presse" mais en relatant les choses à partir d'un point de vue subjectif avoué et en suscitant l'interactivité avec le lectorat. En peu de temps, j'ai eu l'impression de contribuer, de manière constructive, aux débats politiques.
J'arrête donc ce blog, victime de son succès, afin d'offrir une fausse "vie normale" à mon entourage. Je n'ai peur ni du système, ni des réseaux mais je veux surtout calmer les inquiétudes de mon entourage en mettant un terme à cette passionnante expérience de journalisme en direct. Les menaces et les insultes que je reçois me font généralement rire mais je comprends que mon entourage ne partage ni mes opinions, ni mon sens de l'humour. Je vais donc continuer à écrire ... mais sur d'autres supports médiatiques.
En vous remerciant tous d'avoir suivi les quelques "scoops" sur ce blog (merci aussi pour vos commentaires forts amusants, instructifs, étonnants ou révoltants) je vous adresse mes plus sincères salutations.
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