mardi, octobre 23, 2007

Enquête sur les émeutes bruxelloises d'extrême droite turque

Ce mercredi (24/10/07), la deuxième manifestation "spontanée" de jeunes sympathisants d'extrême droite a été largement suivie par les médias et les services de police. Bilan : 94 arrestations dont 8 manifestants mis à la disposition du parquet, plusieurs personnes blessées, des actes de vandalisme contre les transports (tram 92 et bus 61) et les abris publics.

Vu que le premier jour des émeutes (dimanche 21/10/07) j'avais été pris à partie, j'ai donc préféré rester un peu à l'écart de ce genre d'organisation qui ne m'apparaisse pas du tout "spontané". En regardant les images filmées par une équipe de Télé Bruxelles, j'ai essayé de déchiffrer le modus operandi des jeunes manifestants (essentiellement bruxellois de 14 à 25 ans) : fétichisme du drapeau turc, messages SMS à la gloire du soldat turc, appels à l'aide pour "sauver la patrie", glorification des "martyrs", récitation de certains slogans coraniques, des slogans anti-PKK mais aussi anti-Kurdes.

Le plus important, à mes yeux, reste l'entretien et l'alimentation de cette propagande nationaliste sur le terrain bruxellois. Ainsi, autour de la Place Houwaert à Saint-Josse, plusieurs témoins m'ont expliqué avoir vu "une camionnette Mercedes avec des gens en costard faisant du porte à porte pour distribuer gratuitement des drapeaux turcs avec et sans l'effigie d'Atatürk et en rappelant la manifestation du lendemain à la Place Liedts à Schaerbeek". Une même campagne de distribution gratuite de drapeaux turcs a eu lieu autour de ladite place avant la manifestation illégale. Il est "conseillé" d'afficher en façade le drapeau turc en soutien aux soldats "martyrs" morts au combat à la frontière irakienne et je vois mal comment un commerçant ou un habitant turc ou d'origine turque à Bruxelles oserait refuser ce cadeau sans courir le risque d'être considéré comme "traître à la patrie" (vatan haini). J'ai retracé le réseau de fabrication, d'acheminement et de distribution de ces drapeaux avec l'éfigie d'Atatürk et il semblerait que les "mécènes" finançant ce type de cadeau soient le patron d'une boulangerie, le gérant d'une épicerie ainsi qu'un gérant de snack à Schaerbeek et Saint-Josse.

Interrogé par la télévision flamande (VRT), j'ai aussi expliqué comment le discours nationaliste était propagé par les sites internets turcophones de Belgique, les SMS, les radios communautaires ainsi que les élus belges d'origine turque. Pour donner un exemple flamand, j'ai traduit en direct la carte blanche de Nebahat Açar, collaboratrice au cabinet de la secrétaire d'Etat Brigitte Grouwels et conseillère communale CD&V élue sur la liste du bourgmestre socialiste d'Evere Rudy Vervoort. "Que dire aussi de ceux qui autorisent les partisans du PKK a défiler avec le poster d'Öcalan dans la capitale de l'Europe ? Et que penser aussi des télévisions publiques qui se rendent à la frontière irakienne pour donner la parole aux terroristes du PKK ? Comment peuvent-ils s'opposer à la République de Turquie, qui les soutient et les nourrit ? Les enfants de Kemal Atatürk, qui avait dit lors de la guerre d'indépendance "ou l'indépendance, ou la mort", ne cèderont pas une poignée de terre à ces minables. La patrie ne sera pas scindée, elle est indivisible, aucun citoyen turc n'autorisera cela. Ne pleurez pas mères et pères, le sang de nos soldats martyrs ne sèchera pas au sol. Nous sommes 85 millions de soldats. Quand il y en a un qui meurt, 1000 naissent par la suite. Nous sommes tous des soldats", concluent Nebahat Açar sur un site turcophone belge en présentant ses "condoléances à toute la Turquie".

Sur Vivacité-Bruxelles, j'ai donné un autre exemple de provocation avec dans le rôle de l'expert en financement des réseaux terroristes au Moyen-Orient, l'échevin schaerbeekois Saït Köse (MR) qui explique en turc ce dimanche (21/10/07) vers 18 heures sur les ondes de Radio Pasa à Bruxelles que "l’Amérique ne doit pas nous dire qu’elle ne sait rien, qu’elle n’aide pas, qu’elle ne finance pas et qu’elle ne soutient pas logistiquement le PKK. Tout est très clairement sur la place publique. (...) Si nos politiciens, au lieu de se quereller sur les batailles de sièges, avaient fait correctement des travaux de lobbying, il n’y aurait aujourd’hui aucune force politique sur terre capable de remettre à l’ordre du jour le prétendu génocide arménien. Encore une pure coïncidence, une sous-commission parlementaire américaine adopte une résolution sur le prétendu génocide arménien et au même moment, les mouvements du PKK s’intensifient à l’Est du pays. Si on rassemble tout cela, on constate la faiblesse de nos politiciens et on comprend très facilement comment ils [PKK] sont soutenus par des forces extérieures". Il serait douteux d'y voir immédiatement un lien de cause à effet mais quelques heures plus tard le drapeau américain était arraché par les jeunes sympathisants loups gris de l'ambassade des Etats-Unis à Bruxelles. Un peu comme le pompier-pyromane, Sait Köse prendra ensuite part à la conférence de presse du jeudi (15/10/07) organisée par les services de police et les bourgmestres de la zone 5 pour faire le bilan des émeutes devant la presse locale.

Revenons donc un instant sur les premières émeutes du dimanche (21/10/07). A travers les images GSM d'un jeune manifestant "Serhan1030" publiées sur YouTube, il est possible de suivre le parcours des manifestants le dimancher dernier. La première vidéo de "Serhan" montre l'épisode "devant l'ambassade americain, un pic ermeni veut cavaler!!!" "Pic ermeni" veut dire "batard arménien"en langue turque et les images montrent en fait le début de mon tabassage où même "Serhan" semble impressionné par les appels à mon arrestation ("Ouïe ! Que se passe-t-il ?") quand il entend la foule crier "Arrêtez-le...!".

D'autres images de "Serhan" montrent aussi que l'élu schaerbeekois du CDH, Halis Kökten, a donné clairement des consignes de lieux aux jeunes d'extrême droite lors de ce rassemblement illégal. Présent sur les lieux devant l'ambassade des Etats-Unis, j'avais pourtant vu le même élu schaerbeekois tenter de calmer les débordements.

Qui sont derrière ces jeunes manifestants ? Je ne le sais pas encore et après les premières émeutes, il faut déjà noter que pas un seul responsable n'a osé clairement condamner en turc les actes de vandalismes, le tabassage d'un journaliste et le saccage d'un café arménien. L'ambassadeur turc Fuat Tanlay a même envoyé un communiqué de presse assez surréaliste en appelant les jeunes à "ne pas céder à la provocation" alors qu'on avait plutôt l'impression que ce sont ces derniers qui semaient la terreur dans les rues de la capitale européenne.

L'un des principaux artisans néofascistes alimentant constamment la haine et le trouble public n'est autre que le correspondant du journal turc Hürriyet Yusuf Cinal, animateur sur Radio Anatolia (87.5 FM à Bruxelles) et gestionnaire du site internet YeniHaber.be. Célèbre publireporter négationniste et ultranationaliste turc, viré puis repêché par Hürriyet grâce au lobbying d'un homme d'affaires turco-bruxellois, ce personnage félicite régulièrement les jeunes pour avoir manifesté "l'esprit national" dans les rues de Bruxelles et va même jusqu'à rapporter (vrai ou faux?) les paroles des manifestants précisant que "nous avons donné un petit avertissement à Mehmet Koksal" qualifié de "prétendu journaliste indépendant" par Yusuf Cinal et que si "Mehmet Koksal ne change pas ses opinions pro-arménienne et pro-PKK, ce sera à lui de voir". Yusuf Cinal qui reçoit ce vendredi (26/10/07) le "ministre d'Etat" Emir Kir (PS) en studio où les deux hommes s'auto-congratulent tout en faisant part de leur analyse géopolitique sur les émeutes bruxelloises de l'extrême droite turque. J'espère que les propos tenus seront par le responsable politique seront traduits en langue française ou néerlandaise pour que je ne sois plus obligé de me taper tout ce boulot, non rémunéré, pour les médias belges.

Aujourd'hui, entre deux manifestations "spontanées", vous avez d'un côté la presse turque qui relate "la colère des jeunes turcs contre le PKK" (en évitant soigneusement les actes de vandalisme) et la presse belge (francophone et flamande) qui évoquent, de manière étonnée, "les émeutes turques contre les Kurdes à Bruxelles" (en amalgamant les Turcs aux sympathisants d'extrême droite et les Kurdes au PKK). Si vous suivez ce blog, vous devrez savoir qu'aucun des raccourcis n'est valable pour décrire la situation actuelle dans les quartiers bruxellois.