lundi, février 05, 2007

Livre : Mazyar Khoojinian décortique la communauté turque en Belgique

Le titre du mémoire de fin d'études (ULB) de l'historien belge Mazyar Khoojinian peut paraître assez repoussant "La stabilisation et l'organisation des travailleurs turcs et de leurs familles en Belgique (1963-1980)", sa longue enquête sur la communauté turque de Belgique reste pourtant d'une richesse et d'une précision imbattable. Après avoir compulsé notamment les archives de la Fédération charbonnière de Belgique (Fédéchar), le Moniteur belge, la propagande diplomatique et associative à l'attention des travailleurs turcs, les archives et les correspondances de nombreuses publications turcophones en Belgique, l'auteur arrive à retracer l'historique et le réseau associatif de l'ensemble des composantes politiques de la communauté turque en Belgique. A travers l'analyse des conditions de travail des premiers immigrés turcs en Belgique, on découvre ainsi une mine d'informations inédites comme la liste des associations turques créées en Belgique jusqu'en 1981, les associations bénéficiant du soutien de l'Ambassade et des Consultats de Turquie, les associations bénéficiant du soutien des syndicats belges, les associations d'extrême-droite turque en Belgique, les autres associations à caractère politique.

Dans le n°17 des Cahiers d'Histoire du Temps Présent prenant appui sur son mémoire, Mazyar Khoojinian explique des arrangements insolites comme "la dispense religieuse pour les mineurs en ce qui concerne le jeûne rituel" accordée par la Diyanet par circulaire photocopiée et affichée dans les cantines; un message de Bülent Ecevit (ex-Premier ministre turc) publié dans le premier numéro de la première publication turcophone en Belgique baptisée Türk Iscileri Bülteni (Bulletin des travailleurs turcs), un mensuel édité par le ministère belge de l'Emploi et du Travail, l'Ambassade de Turquie et la Fédération charbonnière de Belgique paraissant à partir du mois d'août 1964 ("Une bonne nouvelle est annoncée aux lecteurs du Türk Iscileri Bülteni en juillet-août 1965 : la participation de l'Etat belge dans les frais de voyage des familles qui ont accompagné ou rejoint l'ouvrier migrant occupé en Belgique. L'arrêté royal du 20 mai 1965 prévoit le remboursement de la moitié des frais de voyage de l'épouse et des enfants (avec au minimum trois enfants) accompagnant ou rejoignant un travailleur étranger occupé en Belgique. (...)"); les prises de tête concurrentes des différents groupes politiques de gauche turque en Belgique et l'implication involontaire de l'avocat socialiste Jacques Bourgaux; le paradoxe de l'ingérence religieuse d'Ankara ("Paradoxalement pour un Etat qui fait de la laïcité son originalité dans le monde musulman, le contrôle opéré par les autorités turques se fera de plus en plus par l'intervention dans le domaine religieux, en reliant les mosquées, contrôlées par les ambassades, au Secrétariat d'Etat des Affaires religieuses") ou encore la fondation le 08/04/1978 d'une association d'extrême droite turque (Loups gris) au cinéma Rex à Schaerbeek dont l'un des ex-dirigeants vient d'être élu sur la liste PS; la collaboration des Loups gris avec le Vlaamse militanten orde (VMO).

Pour terminer, ce jeune historien (24 ans) revient dans son imposant travail de fin d'études (154 pages, 698 notes en bas de page et une centaine d'annexes) sur le travail social des personnages clés de l'immigration turque comme notamment Muharrem "Ekrem" Bilgin (Premier permanent national turc de la CSC), Muharrem Karaman (successeur de Bilgin à la CSC), Hüseyin Celik (FTGB et UTTB) ou Dogan Özgüden (ex-mensuel Emek et agence Info-Türk).