jeudi, octobre 18, 2007

Procès : terroristes ou combattants armés ?

Jour 3 au procès bruxellois de la filière belge d’acheminement, de financement et de recrutements de combattants armés en Irak et le procès est marqué par l’apparition aujourd'hui du chef présumé du groupe : Bilal Soughir. Le personnage, le seul parmi les prévenus en détention préventive à la prison de Saint-Gilles, débarque à l’audience couvert d’un bonnet noir, une veste brune et une petite barbe mal rasée. Le regard noir fixé qui dégage un certain charme, ce jeune homme parlant parfaitement le français, Belge d'origine tunisienne né en Algérie et éduqué à Bruxelles, fêtera ses 34 ans le 21 novembre prochain.

Début de séance, le procureur fédéral continue l’instruction du prévenu Youness Loukili en soulignant les contradictions entre le prévenu et son conseil : "Alors que Monsieur Loukili précise qu’il n’a jamais mis les pieds en Irak, son conseil argumente en déclarant à la presse que le prévenu devrait être considéré comme un combattant et non comme un terroriste". Répondant partiellement aux devoirs d’enquête demandés par Maître Marchand, le procureur estime que les faits reprochés dans ce cas sont "des œuvres de particuliers visant à imposer un régime sans volonté d’établir des valeurs démocratiques" et qu’il ne faut donc pas considérer les intéressés comme des combattants engagés dans un conflit armé mais bien comme des terroristes.

La question juridique posée par Me Christophe Marchand garde toute sa pertinence puisque si son client est considéré par le tribunal comme "combattant dans un conflit armé", la loi sur les infractions terroristes ne pourra plus s'appliquer dans ce dossier. En évoquant des "œuvres de particuliers", le procureur fédéral veut justement pousser le tribunal à appliquer la nouvelle législation contre les infractions terroristes aux différents prévenus et demande en conséquence au président de déclarer non fondé les devoirs complémentaires exigés par l’avocat de Loukili.

Prenant la parole, Me Marchand critiquera "les silences du procureur fédéral" sur une série de questions juridiques qu’il a soumis. "Silence concernant l’article 6.3 de la CEDH à propos d’une défense effective et concrète, silence sur le rapport de la commission rogatoire aux Etats-Unis pour savoir ce qu’il s’est effectivement passé avec Muriel Degauque et son époux Issam Goris en Irak car tout tourne autour de l'interprétation découlant de ces faits que le procureur fait semblant d’ignorer. En effet, l’hypothèse du procureur à propos d’un réseau jihadiste se base justement sur les faits en Irak et donc tout acte par la suite sera forcément considéré comme un attentat terroriste. Je crois qu’il faut faire une différence entre un attentat à la bombe sur un marché rempli de civils et un attentat contre des combattants armés dans le cadre d’un conflit régulier. Enfin, silence du procureur concernant l’article 141 bis du code pénal sur la qualification ou non de ce qui apparaît effectivement en Irak comme un conflit armé interne et international ou des violences pluriquotidiennes sont perpétrés. Le droit humanitaire ne fait justement pas de différence et se limite à constater l’existence d’un conflit armé pour appliquer le droit international humanitaire. La question est de savoir si les combattants jihadistes constituent une armée, portent des armes et des uniformes avec des grades. Je vous signale, monsieur le président, qu’après la Deuxième Guerre mondiale, les partisans étaient également considérés comme des combattants après la guerre", rappelle l'avocat. Alors que Nadia Bouria, reporter à RTL-TVi, interroge pendant la pause Maître Marchand, je demande brièvement à Youness Loukili de réagir à l’argumentation développée par son conseil. "Vous considérez-vous comme un combattant ?" Le sourire amusé, l’intéressé me répondra ... qu’il "ne répond pas aux questions". Le tribunal prendra le sujet en délibération pour une décision attendue pour la fin de journée.

Lors de sa première comparution, Bilal Soughir sera essentiellement interrogé sur son séjour en Syrie. "Oui, je me suis bien rendu en Syrie fin janvier 2005 où je devais rencontrer Loukili mais je n’y suis pas arrivé. Je suis un très bon ami de Loukili et j’avais été averti de ses problèmes de santé par son ex-femme en Belgique. Elle m’a demandé si je pouvais aller en Syrie à sa place mais une fois arrivé à l’adresse fournie, il n’y avait personne sur place. Je n’ai plus eu de contact ni avec Loukili, ni avec sa femme en Syrie après son accident. Pendant un mois sur place, je l’ai cherché dans les entourages, les hôpitaux et les commissariats de police mais je n’ai eu aucune réponse", explique Bilal Soughir entouré de deux policiers qui montent sa garde. Le président du tribunal rappelle les pièces saisies lors d’une perquisition à son domicile où on retrouve deux billets d’avion achetés par Bilal Soughir pour le 03/05/05, l’un à son nom avec les destinations Damas-Milan-Tunis et l’autre au nom de Loukili pour la même date pour Damas-Milan-Casablanca. "Je corrige ce que j’ai déclaré précédemment, je suis revenu de Syrie à Bruxelles non pas directement mais en faisant escale à Milan. C’est vrai que j’ai acheté ces deux billets à destination de Tunis et du Maroc mais c’est probablement parce que je n’avais pas le choix à l’agence de voyage. Je n’ai pas rencontré Loukili ni en Syrie, ni dans l’avion à destination de Milan mais j’ai effectivement acheté un billet à son nom à titre conservatoire au cas où il réapparaîtrait". Le président revient à nouveau sur ces nombreuses contradictions en s’inquiétant ironiquement des pratiques commerciales douteuses des agences de voyage syriens : acheter d’un billet Damas-Tunis, descendre à Milan avec l’intention originelle de venir à Bruxelles. Cela ne fait pas très sérieux comme argumentation. "J’ai changé d’avis dans l’avion en descendant à l’aéroport de Milan", réplique Bilal Soughir sans vraiment convaincre le président. Acheter un billet pour son ami Loukili introuvable sur place en Syrie et à destination du Maroc ? "Oui, au cas où il réapparaîtrait, je me suis dit qu’il valait mieux qu’il parte pour le Maroc pour revenir ensuite en Belgique à cause de son accident. Sinon, arrivé en Belgique, on lui aurait demandé des choses sur les circonstances de son accident." Des circonstances qui restent toujours mystérieuses à ce stade du procès.

Petite pause et l’audience reprend à 10h15 où dès l’ouverture l’avocat de Loukili demande à s’entretenir en chambre de conseil. L’entretien, tenu secret, durera jusque 10h21 où le tribunal mettra fin à la journée pour délibérer sur les questions juridiques posées par l’un des avocats des inculpés. Combattants armés ou terroristes jihadistes ? Le tribunal devra trancher pour savoir la législation à appliquer...