Comment je me suis fait lyncher par les Loups Gris devant l'ambassade américaine
Dimanche (21/10/07), je reçois un appel vers 22h41 m'informant qu'une "manifestation des loups gris [militants d'extrême droite turque] vient de commencer dans les quartiers turcs de Saint-Josse et Schaerbeek. Le cortège des voitures se dirige vers l'ambassade des Etats-Unis". Le long de mon trajet vers le Boulevard du Régent, je remarque qu'il s'agit effectivement d'une grosse manifestation. Les voitures avec des jeunes turcs défilent, drapeau et symbole de l'extrême droite turque en main, en direction de l'ambassade des Etats-Unis en criant des slogans à la mémoire des "soldats martyrs" [sehitler en turc] tombés récemment dans la lutte armée turco-kurde à l'est de la Turquie.
Arrivé sur le place, environ 200 personnes manifestent violemment devant la grille de la représentation américaine à Bruxelles. Des slogans hostiles, des insultes, beaucoup de drapeaux turcs et du MHP (Parti d'Action Nationaliste), je note rapidement dans mon carnet que la plupart des meneurs ont le visage couvert à l'aide des drapeaux un peu comme des hooligans lors d'un match de foot. Grimpant l'un sur l'autre, l'un des jeunes arrive finalement à décrocher le drapeau américain qui flottait derrière la grille de l'ambassade et c'est l'extase pour la foule qui quitte rapidement les abords immédiats du grillage. A 5 mètres, sur la route des tunnels bloqués, chacun tente d'arracher un morceau du symbole américain.
Perdu dans la foule, le conseiller communal schaerbeekois Halis Kökten (CDH) tente d'apaiser les choses mais sans succès. Déployés en grand nombre, les services de police essayent surtout d'encercler les manifestants en évitant soigneusement d'intervenir.
23h04, je suis paisiblement les jeunes loups gris qui s'excitent mutuellement pour mettre le feu au drapeau américain. Je filme un court extrait qui reflète assez bien l'engrenage nationaliste turc : "Yak!Yak!Yak!Yak!Yak!" (Brûle!Brûle!Brûle!Brûle!Brûle!) mais un jeune loup gris me reconnaît et commence à me crier dessus sur un ton menaçant : "Sendemi burdasin ?!" (Toi aussi es-tu là ?!).
Je range rapidement mon appareil et commence à m'éloigner mais le jeune veut absolument de faire lyncher par ses camarades. Il crie : "Hé ! Les gars ! C'est Mehmet Koksal, ce fils de pute de journaliste, ce traître à la patrie, notre ennemi ! Arrêtez ce connard, on va lui faire la peau !" Il répète plusieurs fois les mêmes phrases et je sens la tension monter. Puis, d'un coup, je vois 1, 10, 20, 30 personnes se diriger contre moi pour clairement me casser la gueule. D'autres jeunes tentent de les arrêter en expliquant que cela ne servira à rien mais ils sont rapidement dépassés. Je répète sans cesse que je n'ai rien fait et que je me contente de suivre calmement la manifestation mais impossible de placer un moment dans l'avalanche d'insultes qui pleut contre moi. On dirait que brûler le drapeau américain est devenu soudainement secondaire par rapport à la proie facile que je représente dans cette foule. Quelques jeunes me conseillent de partir en courant. Volontiers mais, d'après moi, je risque d'exciter encore plus la foule et à peine essayé, ma crainte devient réalité : un gars me bloque le passage et une vingtaine de personnes plonge sur moi en me rouant de coups de poings et de coups de pieds, essentiellement sur le visage. Je tombe par terre mais les coups continuent de pleuvoir jusqu'à ce qu'un autre jeune m'arrache et me pousse vers un véhicule de police. "Embarquez-le! Embarquez-le!", demande le jeune en criant à la policière qui refuse d'ouvrir la porte de son véhicule.
On continue la course vers la rue de la Loi, j'encaisse encore quelques coups à gauche et à droite puis c'est la délivrance. Un agent m'embarque et m'éloigne de la manifestation après avoir pris note de mon identité. Au final, je m'en sors bien avec quelques coups sur le visage, le dos et des griffes autour du cou. Heureusement qu'aucun de ces militants d'extrême droite n'avait sorti un couteau ou une arme à feu car... je n'aurai pas pu vous relater mon cassage de gueule devant l'ambassade des Etats-Unis.
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