Gand : les militants du DHKP-C lourdement condamnés en appel
L'arrêt de la Cour d'Appel de Gand dans le procès des militants du DHKP-C en Belgique a été annoncé tard dans la nuit du mardi 7 novembre 2006. Un verdict d'environ 250 pages alourdissant même certaines peines prononcées par le jugement du tribunal de Première Instance de Bruges : 7 ans (au lieu de 5) et 5.500 euros d'amende pour le dirigeant historique Dursun Karatas, 7 ans (au lieu de 6) et 2.478 euros d'amende pour le turco-azéri Musa Asoglu, 5 ans (au lieu de 4) pour le porte-parole du Bureau d'information du DHKC Bahar Kimyongür, 4 ans pour Fehriye Erdal, Kaya Saz, Şükriye Akar Özordulu et Zerrin Sarı.
Parmi les 11 inculpés dans cette affaire, on compte aujourd'hui 4 personnes acquittées, 3 fugitifs recherchés (Karatas, Erdal et Sarı) et 4 prisonniers incarcérés (Asoglu, Saz, Akar Özordulu, Kimyongür) où seul Musa Asoglu reconnaît son appartenance à l'organisation terroriste d'extrême gauche turque DHKP-C.
Alors que la salle d'audience a dû patienter 10 heures 30 de lecture de l'arrêt (en flamand), il est curieux de constater que l'agence de presse turque Anadolu annonçait déjà le verdict (en turc) à 19h58 soit avec plus de 2 heures d'avance sur les juges. De quoi relancer les spéculations sur les relations qu'entretient Johan Delmulle, un procureur controversé étiqueté CD&V, avec l'avocat Kris Vincke, étiqueté CD&V et partie civile dans ce procès pour défendre les intérêts de la Turquie. L'arrêt de Gand réforme aussi sur ce point le jugement de Bruges en acceptant la constitution de partie civile de la Turquie.
Après de nombreux rebondissements politiques dont une tentative infructueuse d'extradition orchestrée par la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), Bahar Kimyongür écope donc finalement d'une peine de 5 ans pour son rôle de dirigeant d'une organisation terroriste et d'assistance à une telle organisation. Comme je l'ai déjà évoqué en juin, son implication concrète dans les activités du groupe reste discutable même si la découverte de ses documents d'identité avec un manuel de falsification de sa signature constitue déjà un délit en soi. Un fait qui reste d'ailleurs très périphérique et accessoire par rapport à l'implication plus directe de la fugitive Fehriye Erdal dans l'assassinat d'un homme d'affaires turc.
Les avocats de Bahar Kimyongür examinent à présent les possibilités d'un pourvoi en cassation purement formel bien qu'il est à présent presque sûr que ce célèbre porte-parole soit forcé de purger sa peine en attendant la suite des évènements. Après avoir effectué 1/3 de la peine (soit 20 mois), Bahar Kimyongür pourra introduire une demande de libération conditionnelle pour autant qu'une telle mesure s'applique également aux détenus condamnés pour "terrorisme".
Cette condamnation pour "terrorisme" se base sur la loi belge relatif aux infractions terroristes votée à la quasi-unanimité des parlementaires le 11 décembre 2003. Utilisée une première fois dans le cadre du procès des militants du GICM (Groupe islamique combattant marocain), c'est aujourd'hui la deuxième fois que la justice belge fait usage de cette loi antiterroriste pour condamner dans ce dernier cas des militants d'extrême gauche radicale engagés dans une lutte armée dans un pays tiers.
Lors d'une conférence de presse du 8/11/2006, Benoît Van Der Meerschen, président de la Ligue des droits de l'Homme, a regretté la condamnation de Bahar Kimyongür. "On espérait l'euphorie, on se retrouve aujourd'hui devant un coup de massue", a-t-il précisé. Critiquant au passage l'extension des pouvoirs de la Sûreté de l'Etat proposés par les ministres socialistes Laurette Onkelinx et André Flahaut, Benoît Vendermersche s'en est pris ensuite aux "dérives catastrophiques de l'Etat de droit" dans l'application de ces lois antiterroristes : "Nous constatons plusieurs problèmes dans cette loi. Premièrement, l'application de la loi créée un délit d'appartenance sans qu'aucun fait délictueux n'ait été commis. Deuxièmement, la définition des faits pouvant être qualifiés de terrorisme reste vague et imprécise. Il faudrait au minimum qu'on puisse prévoir les conséquences d'un acte. Les termes 'gravement' et 'indûment' que contient la définition du terrorisme sont trop flous. Il manque donc un caractère prévisible pour cette atteinte aux droits humains. Enfin, on note une aggravation des peines dès que les délits sont qualifiés de terroristes mais cette qualification est remise entre les mains du pouvoir en place."
La députée régionale Céline Delforge (Ecolo) a évoqué "l'hystérie du monde politique, journalistique et judiciaire en matière de terrorisme. Je ne suis pas fière aujourd'hui en tant que politique. Les parlements perdent de plus en plus de pouvoir car on est en train de restreindre des libertés pourtant élémentaires. L'affaire Bahar n'a rien d'exotique. C'est une lutte contre un régime pas vraiment le plus démocratique. J'ai eu l'occasion d'aller moi-même au Kurdistan pour y rencontrer des habitants et je me suis rendue compte de la situation catastrophique sur le terrain. De quoi est finalement coupable Bahar ? Il a traduit un texte ! Entre les deux jugements belges, il y a également eu un jugement hollandais totalement contradictoire. Alors, si je suis la logique de cet arrêt, soit le juge hollandais est complètement fou soit totalement irresponsable d'avoir relâché Bahar étant donné qu'il est considéré comme terroriste. Si on suit la logique, on va arriver à l'interdiction des grèves dans ce pays. J'ai aussi envie de dire un mot à la presse : il faut que les journalistes fassent très attention à ce qu'ils écrivent. Pour terminer, j'en appelle au rassemblement des forces vives progressistes pour se battre pour la libération du premier prisonnier politique en Belgique."
Son collègue Josy Dubié (Ecolo) s'est déclaré 'abasourdi par cette décision. J'étais convaincu que Bahar serait relaxé en fin de compte. Il est condamné pour ses opinions, je le considère donc comme un prisonnier politique. Je me demande vraiment dans quel pays on vit ici ! De passage à la RTBF ce matin qui fête son 50e anniversaire, j'ai engueulé Anne-Marie Lizin pour avoir accueilli officiellement au Sénat la représentante d'une organisation sectaire et terroriste et à ses côtés, il y avait un certain Marc Uyttendaele qui répètera ma remarque à qui de droit !" Réagissant à une interpellation sur le traitement médiatique de cette affaire, Josy Dubié a félicité le travail du journaliste d'investigation Marc Metdepenningen (Le Soir) tout en fustigeant l'attitude de son ex-employeur : "la RTBF s'en fout complètement du cas de Bahar Kimyongür. Ils sont tous occupés à fêter leur anniversaire et ne s'intéressent pas du tout à cette affaire mais je compte faire mon possible pour que cela change car j'ai encore des contacts dans cette maison."
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