Kimyongür : "Il faut prouver mon appartenance au DHKP-C"
Le jugement de Bruges sur l'affaire "Erdal & Co" ne laisse planer aucun doute sur le caractère sectaire, terroriste et violent du groupe turc d'extrême gauche DHKP-C. Un jugement en Première Instance qui étale sur 92 pages (en flamand) la structure, l'organisation et les méthodes (justice interne pour trahison, racket, vols, faux et usage de faux, détention d'armes, intimidations, préparations d'attentats, projets de représailles...) du groupement d'activistes autour de celui qui semble être le véritable leader de la branche européenne du mouvement DHKP-C installé en Belgique : le turco-abkhaze Musa Asoglu. Ce dernier y déclare d'ailleurs en fin de procédure assumer seul la responsabilité d'une grosse partie des accusations.
Dans le jugement rendu au procès du DHKP-C, il n'est pas vraiment question d'interdiction de liberté d'expression ou d'association. Le tribunal reproche surtout aux 11 inculpés (p.3 et suivantes) "de former une association dont le but est de perpétrer des attentats contre des individus ou des propriétés", d'avoir "pris part à des activités d'une organisation criminelle", d'avoir été "les dirigeants d'une organisation criminelle", d'avoir "participer à la prise de décisions dans le cadre des activités d'une organisation criminelle tout en sachant que sa participation contribuait aux objectifs de cette organisation", d'avoir "sciemment fait partie d'une organisation criminelle comme définie dans l'art 324bis du code pénal même s'il n'avait pas pour intention de commettre un délit dans le cadre de cette organisation", (...) des détentions d'armes (Walter PPK Cal 9mm avec silencieux, 4 pistolets FN 7,65 mm Browning sans autorisation), 16 chargeurs pour armes à feu, des munitions de différents calibres, un détonateur électrique pour explosifs, un récepteur satellite, 27 cachets turcs falsifiés, une série de faux documents d'identité, usage des cartes de paiement délivrés à des tiers, des contrats de location d'appartements sous de fausses identités, un GSM Ericsson provenant d'une voiture Mercedes volée à Saint-Trond, l'usage de fausses identités ainsi qu'un grand nombre de messages accablants à propos des attentats en cours de préparation (p.24 et suivantes).
La presque totalité des charges énumérées se rapporte au QG du DHKP-C à Knokke et aux faits et agissements des personnes ayant eu une quelconque relation avec les dirigeants de cette organisation.
A la lecture du jugement, des doutes raisonnables persistent néanmoins concernant les charges retenues et la lourdeur des peines prononcées à l'encontre du 11e inculpé dans l'affaire, le turco-belge Bahar Kimyongür récemment livré par les services belges, comme l'indique le rapport du parquet néerlandais (1), aux Pays-Bas en attendant une probable extradition vers la Turquie. Son rôle et sa participation dans l'organisation restent sinon flous en tout cas exagérés par rapport à la personnalité et au profil de l'intéressé.
Il est déjà troublant de constater dans cette affaire que la justice belge condamne B. Kimyongür pour appartenance à une organisation terroriste, n'ordonne pas son arrestation immédiate, dissimule l'existence d'un mandat d'arrêt international à son encontre et participe finalement activement à l'incarcération d'un de ses ressortissants dans le but de l'extrader vers un pays tiers. Sous la pression de l'opinion publique, la Belgique a visiblement préféré sous-traiter l'extradition de son ressortissant.
"Le 11 septembre 2006, le procès en appel dans cette affaire aura lieu en Belgique. Tant le parquet que l'inculpé ont interjeté le recours. Le parquet estime que l'intéressé a bien un rôle de dirigeant dans l'organisation terroriste."(2)
Le parquet belge part de l'hypothèse qu'en tant que "porte-parole" du Bureau d'information du DHKP-C à Bruxelles, B. Kimyongür occupe un rôle de co-dirigeant dans l'organisation.
De son côté, B.Kimyongür déclare depuis sa prison hollandaise n'avoir jamais été membre du DHKP-C et demande aux autorités judiciaires de prouver son appartenance à ce groupe. "Il faut encore prouver mon appartenance au DHKP-C. Je n'ai jamais été membre de ce groupe. Je ne suis qu'un simple sympathisant actif dans la traduction. Jamais je n'ai été mis au courant des faits découverts à Knokke que j'ai d'ailleurs appris à travers la presse. Je ne suis pas un responsable, un chef ou un dirigeant du DHKP-C. A propos de l'explosion dans le bus à Istanbul, c'est à travers la presse turque que j'ai été mis au courant des faits. Ce n'est que par la suite que j'ai traduit et diffusé le communiqué", déclare Bahar Kimyongür interrogé ce jeudi 29 juin à la prison néerlandaise de Dordrecht. L'homme âgé de 32 ans qui se laisse actuellement pousser la barbe avoue cependant avoir commis quelques "erreurs de communication". "C'est vrai, j'ai été piégé à deux reprises par les médias. Une première fois lors d'une émission sur la RTBF Au nom de la loi et une autre fois lors de mon passage sur RTL-TVi. Je regrette les discours que j'ai tenus lors de ces deux émissions." Le militant ne regrette pas pour autant ses sympathies pour le groupe DHKP-C et continue de croire à un dossier monté à sa charge pour des raisons politiques et carriéristes.
Le jugement de Bruges revient notamment sur la manifestation anti-OTAN du 28 juin 2004 et à la conférence de presse du même jour où Kimyongür lit un communiqué du DHKP-C revendiquant un attentat manqué à Istanbul. Ce communiqué traduit et diffusé par l'intéressé (p. 59 et suivantes) parle d'un explosion perpétrée à Istanbul dans un bus et ayant fait plusieurs victimes le 24 juin 2004 par la militante Semiran Polat. Le communiqué du DHKP-C revendique cet attentat et présente ses excuses au peuple turc. Le groupe annonce qu'il préparait en réalité des "représailles suite à la mort de deux camarades" mais qu'une cause inconnue a provoqué l'explosion. B. Kimyongür interprète vers le français ce message et passe même à la télévision RTL-TVi pour expliciter la vision du DHKP-C. Pour le procureur, c'est le signe qu'il revendique aussi l'attentat en tant que co-dirigeant. Mais comme le premier inculpé (Musa Asoglu) déclare assumer l'entière responsabilité dans l'organisation de la conférence de presse et la diffusion du message, le tribunal écarte le "rôle de leader" dans le chef de B. Kimyongür (p. 59). Vu le rôle du premier inculpé dans l'affaire, il est difficile de soutenir encore que B. Kimyongür est véritablement le dirigeant d'une organisation terroriste.
L'une des grosses preuves qui enfonce cependant Kimyongür réside dans la découverte de documents à son nom (carte d'identité, passeports belge et turc, carte de banque ainsi qu'un schéma qui explique comment falsifier sa signature) lors de la perquisition à Knokke ainsi que dans une voiture Lancia conduite par Asoglu. Sa responsabilité semble clairement engagée sur ce point même s'il prétend n'avoir voulu qu'aider des réfugiés sans se douter de l'usage final de ses documents. Il prétend n'avoir répondu qu'aux demandes ou injonctions des dirigeants. "C'est la vérité ! Je vous assure qu'on m'a un jour demandé mes documents pour venir en aide à des personnes persécutées. J'ai tout simplement répondu positivement à la demande sans savoir à quoi allait réellement servir mes papiers."
Si on décide de condamner Bahar Kimyongür pour sa simple appartenance au DHKP-C en tant qu'organisation terroriste, il faudrait s'interroger alors à propos de l'incitation au délit que représente la réponse de la ministre Onkelinx suite à la question parlementaire de François-Xavier De Donnéa en 2003 dans laquelle elle déclarait que les activités de cette organisation étaient couvertes par des droits consacrés par la Constitution belge, notamment les libertés d'expression et de réunion. Bahar Kimyongür traduisait effectivement des communiqués pour le compte du DHKP-C avant même que ce groupe soit fiché comme une organisation terroriste par l'Union européenne. Ce n'est pas son boulot de traducteur qui est épinglé par la justice mais le fait d'avoir prêter assistance à des personnes préparant des actes criminelles dans le cadre d'une organisation terroriste. Les documents saisis à Knokke dans l'appartemant de Musa Asoglu prouvent suffisamment ces objectifs criminels. Mais rien ne prouve encore que B. Kimyongür avait pris connaissance de ces actes ou qu'il y participait sciemment.
La gestion de ce dossier par la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), a été désastreuse. Interpellée par la femme de l'inculpé (Deniz Demirkapi) lors d'un débat public, la candidate socialiste à Schaerbeek a précisé que "nous n'avons pas à nous immiscer dans une procédure d'extradition" concernant deux pays tiers (Turquie et Pays-Bas). Une argumentation qu'elle répète d'ailleurs dans sa réponse écrite suite à l'interpellation du député européen italien Vittorio Agnoletto.
Pourtant, il semble que la justice belge soit déjà intervenue dans un cas similaire auprès de deux pays tiers. "Le 21 juillet 1998, Abbès Guenned est à nouveau arrêté pour le même motif [mandat d'arrêt international du Maroc pour trafic de drogue et association de malfaiteurs], à l'aéroport de Adnan Menderes de Izmir (Turquie). Il sera brièvement incarcéré, libéré, puis à nouveau arrêté deux jours plus tard sur appel de la Cour Supérieure: le Maroc réclamait son extradition. Marc Uyttendaele prit la défence de Abbès Guenned en tant qu'avocat, tandis que le département de la Justice belge intervenait directement auprès de son homologue turc Hassan Denizkurdu, en fournissant des explications fallacieuses. Pour éviter une crise diplomatique, Abbès Guenned sera finalement libéré. Ces faits ont notamment été rapportés par le journal turc Milliyet du 15 août 1998"(3)
Abbès Guenned, actuellement conseiller au cabinet de Laurette Onkelinx, et Marc Uyttendaele, avocat, sont respectivement premier et deuxième conjoints de la ministre socialiste mais cela n'a évidemment rien avoir l'immixiton de la Belgique pour défendre son ressortissant belge d'origine marocaine. D'ailleurs, Laurette Onkelinx occupait à l'époque le poste de ministre-présidente de la Communauté française et non le portefeuille de la justice. Mais c'est peut-être là un bon exemple à suivre dans lequel un pays prend la défense de ses ressortissants au lieu de les piéger. Quitte à les condamner par la suite lors d'un procès équitable en appel.
"Il y a deux choses. Je suis convaincu que Bahar Kimyongür paye pour [Fehriye] Erdal car les autorités belges ont été ridiculisées dans cette histoire et il y a aussi ce côté électoraliste de la ministre de la Justice qui se présente à Schaerbeek. Quand on écoute par exemple ce qu'elle a dit sur le génocide arménien, c'est une forme d'électoralisme que je considère gravissime car on mange ses principes pour grapiller quelques voix et je trouve cela inacceptable", a déclaré le sénateur Josy Dubié (Ecolo) lors d'un entretien.
Mehmet Koksal
Envoyé spécial à Dordrecht
(1) "Par ailleurs, une concertation a eu lieu le 27 avril 2006 entre le parquet belge et le parquet néerlandais. Durant cette concertation, le collègue belge a partagé des informations comme quoi il est possible que l’intéressé (qui n’a pas encore été condamné définitivement pour participation à une organisation terroriste) puisse venir le samedi 29 avril 2006 aux Pays-Bas pour une visite à un festival DHKP-C à Den Bosch. De plus, il a été indiqué que l’intéressé est signalé internationalement par la Turquie. (…) [Finalement l’arrestation] a eu lieu la nuit du 27 au 28 avril 2006 à Zoeterwoude par des agents de surveillance. " (Conclusie uitleveringszaak Bahar Kimyongür d.d. 13 juni 2006)
(2) op. cit.
(3) source
notes :
Jugement du tribunal correctionnel de Bruges
http://leclea.be/images/vonnis%20Erdal%20OM%206%2003%2006.pdf
Liste des organisations reconnues comme terroristes par l'Union européenne
http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/site/en/oj/2005/l_340/l_34020051223en00640066.pdf
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