jeudi, avril 19, 2007

Une rapide évaluation de l'arrêt DHKP-C

Pascal Vrebos (Bel RTL) m'a rapidement demandé sur antenne mon avis sur le récent arrêt du 19/04/07 de la Cour de Cassation redonnant la liberté aux militants du DHKP-C. J'ai expliqué que c'était évidemment une victoire sur la forme, et non sur le fond, car la Cour n'examine que les vices de forme et elle a estimé en l'occurence que le juge Freddy Troch ne présentait pas les qualités d'impartialité requises dans cette affaire pour un procès équitable et qu'il n'était pas normal de désigner un juge d'un autre arrondissement judiciaire dans ce cas. Le débat sur le fond reste toujours d'actualité et l'examen des infractions commises (notamment les détentions d'armes, d'explosifs, l'usage de faux et les préparatifs d'attentats) reprendra d'ailleurs devant la Cour d'appel d'Anvers.

A court terme, il faut évidemment analyser les éventuelles conséquences politiques de l'arrêt de la Cour de Cassation. En interne d'abord où la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), s'était fortement engagée dans cette histoire, essentiellement pour des raisons électoralistes à Schaerbeek, en s'alliant complètement à la thèse soutenue par la République de Turquie. La Turquie s'est constituée partie civile au procès. Laurette Onkelinx s'était tellement engagée qu'elle avait même tenté d'extrader l'un des prévenus, Bahar Kimyongür (binational belge et turc), en passant par les Pays-Bas mais la justice néerlandaise avait finalement libéré le détenu.

Il faudra aussi voir si, fort de son succès juridico-médiatique, Bahar Kimyongür ne présentera pas sa candidature dans une formation d'extrême gauche dans la perspective des élections fédérales belges du 10 juin prochain. Aucun risque, par contre, de voir des jeunes sympathisants loups-gris à Bruxelles recharger des cocktails molotovs en direction des autorités belges. Le DHKP-C ne dispose déjà plus de local bruxellois et ne compte pas de sympathisants visibles dans les communes de Saint-Josse et Schaerbeek où réside une grande communauté turcophone. Bien que considéré comme terroriste aussi, le DHKP-C n'a pas non plus la même image que le PKK au sein des médias turcs principalement à cause de l'identité exclusivement kurde du PKK.

Sur le plan externe, l'arrêt risque encore de détériorer l'image de la Belgique auprès des médias turcs. La Belgique n'a déjà plus trop la cote depuis l'évasion de Fehriye Erdal et, après la gaffe de Marie Arena (PS) sur l'homosexualité supposée d'Atatürk, cette nouvelle décision en faveur du DHKP-C risque d'alimenter l'euroscepticisme et le syndrôme de victimisation au sein de la population turque.

Personnellement, je vois essentiellement dans l'arrêt de la Cour de Cassation une victoire de l'Etat de droit où les juges de la plus haute juridiction rappelle aux autres magistrats qu'ils ne peuvent pas se permettre tout et n'importe quoi en désignant à leur guise des magistrats sans vérifier la légalité de la manoeuvre ou l'impartialité du magistrat. J'espère aussi que cet arrêt permettra au Parlement de relancer la discussion sur la loi sur les infractions terroristes du 11/12/03 votée à la quasi-unanimité (y compris Josy Dubié) par les parlementaires belges. Il s'agit d'une loi liberticide largement critiquée par les organisations des droits humains et qui mériterait au moins une seconde lecture en vue de garantir les droits fondamentaux de chaque citoyen.

Pas facile d'expliquer tout cela à la radio belge quand vous n'avez qu'une minute et trente secondes (j'ai d'ailleurs survolé quelques points) mais Bel-RTL m'aura finalement laisser un peu plus de 2 minutes. C'est déjà un bon pas vers la liberté d'expression et d'information...