Tariq Ramadan et sa polémique belge
Suite à la décision de l'Université Libre de Bruxelles (ULB) "de refuser qu'une conférence de M. Tariq Ramadan se tienne dans ses locaux", j'ai rencontré le fameux Tariq Ramadan avant un débat contradictoire sur l'islam, femmes et droits humains organisé ce vendredi (02/03/07) par les Femmes Musulmanes de Belgique et Loqman aux Facultés Universitaires de Saint-Louis à Bruxelles avec ... le professeur Dan Van Raemdonck (ULB, LDH et CAL) et Sophie Léonard (Bruxelles Laïque).
Pour préparer mes questions, j'ai repris le communiqué de l'ULB, pour interpeller Tariq Ramadan principalement sur les arguments qui y sont énoncés.
Il menace la laïcité politique ? "Je connais la laïcité mais je ne sais pas ce que veut dire la laïcité politique. C'est un nouveau concept qu'ils devront expliciter. Je trouve en tout cas que cette manière d'agir qui consiste à interdire la liberté d'expression tout en nous donnant des leçons de démocratie est inadmissible. L'université ne doit pas sombrer dans le journalisme à sensation. En tant que musulmans, nous ne demandons même pas un aménagement de la laïcité mais son application pur et simple. Comme en Belgique, on refuse l'application de la laïcité à géométrie variable."
Il ne condamne jamais clairement la lapidation des femmes, même lorsqu'on le lui demande ? " C'est faux que c'est justement un truc qui a été utilisé contre moi après un débat français. J'ai clairement pris position pour un moratoire contre la peine de mort et contre la lapidation. Alors, on m'attaque ensuite en disant qu'il parle de moratoire mais en fait il pense le contraire. On peut dire la même chose pour Jacques Chirac ou Amnesty International, ils se prononcent pour un moratoire contre la peine de mort mais en réalité ils sont pour la peine de mort. C'est complètement ridicule comme raisonnement..."
Il nie le génocide arménien et entretient un discours antisémite ? "J'ai reconnu publiquement le génocide arménien. A mon avis, le gouvernement turc devrait entrer en matière dans la reconnaissance qu'il y a eu un génocide. J'ai même dit cela en Turquie, il y a deux semaines. Bien sûr qu'ils m'ont critiqué et eux me disent que c'est les Arméniens qui ne veulent pas discuter. Bien entendu qu'il y a des manipulations politiques d'un côté comme de l'autre mais cela ne m'intéresse pas. Moi, je retiens des faits historiques. Sur l'antisémitisme, je l'ai également clairement condamné dans un article publié par le quotidien Le Monde et un récent article sur moi publié par le New York Times note que je suis l'un des seuls musulmans à condamner l'antisémitisme. Mais le fond du débat est en réalité que certaines personnes n'accepteront jamais mes positions sur Israël. Je suis contre l'antisémitisme et je n'accepterai jamais la politique israélienne qui comptabilise déjà 64 résolutions de l'ONU non respectées, une décision internationale sur le fait que le mur est illégal mais ils continuent cette politique et c'est ça la réalité. Derrière toute cette polémique, on refuse en réalité qu'un autre type de discours soit entendu."
Il joue la victime pour faire sa pub ? "Attendez, attendez... Il y a des faits et mon attitude. Dans les faits, il y a un vrai boycott. Déjà je ne peux pas entrer aux Etats-Unis clairement pour des questions d'opinions. Je ne peux pas m'exprimer à l'ULB, je devais intervenir à Europe 1 mais on vient de l'annuler, je devais intervenir à l'Université de Lille mais on vient de l'annuler, 20 fois les salles m'ont été interdites en France sous la pression des renseignements généraux. Mais mon attitude par rapport à ces faits, je ne joue pas à la victime en disant qu'on n'aime pas l'islam, je préfère continuer ma route. Je ne suis pas une victime et jusqu'à preuve du contraire, ceux qui aujourd'hui sont en train d'enfreindre le droit et la démocratie, c'est l'Université de Bruxelles, ceux qui la promeuvent sont tous ceux qui travaillent avec moi sur le terrain pour une vraie application des valeurs démocratiques."
J'ai aussi demandé à Tariq Ramadan si sa diabolisation médiatique tire son origine du livre de Caroline Fourest. "La seule fois où j'ai rencontré Caroline Fourest, c'était dans lors d'un débat dans l'émission Campus où elle déclare sans ambiguité que je n'ai pas de double discours. Mais je ne pense pas que ce soit elle qui soit à l'origine de cette campagne de dénigrement. Cette idée de double discours date à mon avis d'Antoine Sfeir qui expliquait que Tariq Ramadan ne dit pas la même chose en français sur les plateaux de télévision et en arabe à l'attention des jeunes de banlieues. Ils n'ont toujours pas encore compris que les jeunes de banlieues ne parlent pas l'arabe mais seulement le français. "
J'ai écouté le débat sur l'islam et les droits de l'Homme et je n'ai, contrairement à Nadia Geerts, rien trouvé de dangereux dans les discours (même si Dan Van Raemdonck de la Ligue des Droits de l'Homme me fait parfois peur quand il évoque publiquement son état grippal).
Un même groupe de laïcs et sionistes militants (autour du CCLJ, Shalom Arshav Belgique, NPNS Belgique) tente de contrôler d'une manière ou d'une autre le débat sur l'islam en Belgique. C'était d'ailleurs le même groupe qui avait soutenu (sans succès) la candidature du musulman laïc Chemsi-Cheref Khan à la tête de la laïcité organisée.
De son côté, Ian Buruma, l'excellent collaborateur anglo-hollandais du New York Times Magazine, vient de publier un long portrait bien recoupé sur l'intellectuel musulman Tariq Ramadan dans lequel il passe en revue l'ensemble des reproches et des interrogations qui entourent l'islamologue genevois. Dans sa conclusion, Buruma explique le modus operandi du système Ramadan qui "s'appuie sur un environnement urbain occidental rempli de musulmans hautement éduqués mais fréquemment confus et désireux de trouver des modèles auxquels ils peuvent s'identifier". C'est exactement l'impression que j'ai eu ce vendredi en assistant à cette conférence sur "islam et droits humains" aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. De quoi m'inspirer pour un prochain dossier sur "le système Ramadan" pour autant que je puisse convaincre d'ici peu un quelconque journal...
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