L'ULB interdit tout débat contradictoire avec Tariq Ramadan
La polémique démarre quand l'UETD (Union des démocrates turcs européens) organise à l'Université Libre de Bruxelles le 15/12/06 un "symposium" controversé intitulé "l'Union européenne en quête d'une identité multiculturelle : l'expérience ottomane" avec comme intervenants : Mehmet Aydin (ministre d'Etat), Gilles Veinstein (Collège de France), Tariq Ramadan et Alain Servantie (Commission européenne).
Quatre associations bruxelloises issues de l’émigration politique en provenance de Turquie protestent par écrit auprès des autorités universitaires contre l'organisation de cet événement en invoquant un "simulacre de symposium" visant en réalité à promouvoir "la propagande de la négation du génocide des Arméniens et Assyriens en présentant l'expérience ottomane comme une identité à imposer à l'Union Européenne en quête d'identité multiculturelle."
Mais, contrairement aux apparences, au sein du rectorat de l'ULB, ce n'est pas cette thématique qui inquiétera les défenseurs du principe du libre-examen mais plutôt la participation d'un des intervenants : Tariq Ramadan.
Le symposium controversé ne sera finalement pas annulé pour "l’unique raison de ne pas provoquer d’incident diplomatique avec la Turquie" étant donné la participation du ministre turc Mehmet Aydin. Dans son communiqué de presse, "l’ULB tient dès lors à faire savoir, et en particulier à toutes les personnes et communautés qui se sentent légitimement choquées par la tenue d’une telle manifestation en ses murs, qu’elle n’admettra plus désormais d’être prise en otage par des opposants —officiels ou masqués— à ce qui demeure ses valeurs : la laïcité politique, condition nécessaire à la pratique du libre examen. Elle estime dans ce contexte qu’il est de son devoir de ne pas confondre tolérance et relativisme culturel. " La personne visée est clairement Tariq Ramadan.
"Suite à ce communiqué fort ambigu, nous avons pris nos précautions en demandant par écrit l'aval du recteur pour notre conférence dans le cadre de la Semaine d'actions contre le racisme où nous comptions inviter Tariq Ramadan mais aussi Philippe Grollet (CAL), Mohsin Mouedden (Radio El Wafa) et Didier de Laveleye (Mrax)", explique un responsable du Cercle des Etudiants Arabo-Européens (CEAE) qui désire garder l'anonymat.
Dans une lettre datée du 19/02/07, Philippe Vincke (recteur de l'Université Libre de Bruxelles) répond au cercle étudiant et s'oppose fermement à la participation de Tariq Ramadan en invoquant l'article 30 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. D'après l'ULB, Tariq Ramadan accomplirait donc "un acte visant à la destruction des droits et des libertés" qui sont énoncés dans la DUDH.
Plus grave encore, dans une correspondance au ton menaçant, l'ULB demande de "noter que le Vice-Recteur Marc van Damme a interdit l'utilisation ce soir de l'auditoire H.3227 de 18h à 20h, par votre Cercle des Etudiants Arabo-Européens. Vous devez en effet utiliser pour vos réunions de cercle, le local dont vous disposez au 131 av. Buyle à cet effet. Je vous rappelle d'une façon générale, que depuis quelques mois, toute occupation de locaux de l'U.L.B., même ceux mis à disposition par le dispatching, doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès du Professeur Marc van Damme, Vice-Recteur pour la Vie étudiante et la politique sociale. Je vous rappelle également que ces demandes doivent être introduite minimum 3 semaines à l'avance. "
Une nouvelle disposition qui, dans la forme s'applique à l'ensemble des cercles, mais dans les faits viserait particulièrement les étudiants musulmans. "Nous réservons depuis des années des locaux et la réservation n'était qu'une formalité technique. Aujourd'hui, les autorités de l'ULB veulent contrôler le contenu de nos activités, ce qui est assez surprenant. Le CEAE est un cercle non confessionnel mais il est vrai que nous avons un public cible de confession musulmane", explique un étudiant.
De son côté, "le MRAX prend acte du refus de l'ULB de laisser parler Tariq Ramadan et ne peut que féliciter l'Université dans sa volonté de renforcer ses valeurs légitimes. Mais, il faudrait encore que l'ULB fixe des limites raisonnables, ce qui ne semble pas être le cas avec Tariq Ramadan. On souhaiterait donc plus d'éclaircissements sur les limites que se fixent l'ULB pour permettre l'expression de la diversité et de protéger le droit des personnes. Nous invitons l'ULB à transmettre au gouverment britannique de Tony Blair ses observations et ses preuves à l'égard des actes contraires de M. Ramadan auraient commis dans le cadre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme étant donné que ce dernier y officie en qualité de conseiller. Ni l'ULB, ni Tariq Ramadan ne peuvent être accusés de racisme et ils nous semblent normal qu'un débat puisse prendre entre des antiracistes pour discuter des moyens de combattre les discriminations dans le cadre de la Semaine d'Actions contre le Racisme", précise Radouane Bouhlal, Président du MRAX.
Dominique Vermeiren, Président du Cercle du Libre Examen à l'ULB, précise à son tour que "les principes du libre examen étaient pleinement réunies dans l'organisation de ce débat contradictoire étant donné la participation des personnalités comme Philippe Grollet ou des représentants du MRAX. Nous ne voulons pas prendre position sur la personne de Tariq Ramadan, ce qui nous intéresse est la santé du débat. Il existe une volonté depuis le début de cette année de faire avancer l'ULB sur le chantier des valeurs et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais dans le cas présent, nous estimons que les garanties d'un débat contradictoire étaient assurées par les différents intervenants. Je me souviens d'ailleurs d'avoir déjà refusé de signer en mai 2006 une lettre de protestation contre la venue de Tariq Ramadan à l'ULB."
Dans une carte blanche adressée au quotidien Le Soir, Salim Haouach et Saïd Benayad (ex-président et ex-trésorier du CEAE) dénoncent l'universalisation d'une seule conception : "Que ce soit autour de la liberté d'expression ou de la laïcité, nous assistons dans le discours des autorités de l'ULB à un glissement de l'esprit de ces valeurs universelles vers une universalisation d'une certaine conception de ces mêmes valeurs. Le malaise que fait naître en nous, et nous l'espérons, en tout ceux qui ont à coeur la défense des libertés fondamentales, ne tient nullement aux valeurs desquelles se réclame l'ULB, mais bien à leur usage partial et idéologiquement orienté."
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