Echec de participation pour la conférence arménienne
La première conférence du Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA) ayant pour sujet "le négationnisme : les démocraties face à l 'ultime phase du génocide - pour une juste pénalisation" a bien eu lieu ce mardi (13/03/07) à la Maison des Parlementaires. L'assemblée comptait à peine une trentaine de participants, dont quelques détracteurs journalistes turcs ne comprenant pas le français (excepté le mot génocide), difficile d'évoquer un quelconque succès dans ces conditions.
Parmi les élus, il était intéressant de noter la présence de François Roelants du Vivier (FDF) et Christine Defraigne (MR), auteurs de plusieurs propositions visant la pénalisation des négationnismes, Viviane Teitelbaum (MR), auteur de plusieurs interpellations sur le sujet au Parlement bruxellois, Josy Dubié (Ecolo), auteur d'interpellations à ce propos, Denis Grimberghs (CDH), co-signataire d'un préaccord électoral secret non respecté et Clothilde Nyssens (CDH), la grande politicienne du parti centriste débordante d'énergies et capable par exemple de manifester en même temps et en l'espace de 2 semaines aux côtés des Arméniens et des Assyriens pour la pénalisation des génocides et ensuite courtiser l'électorat turcophone à Schaerbeek en soutenant exactement la position inverse. A noter également l'absence du PS bruxellois car le parti de gauche présentait le même jour sa liste à la Chambre pour les élections fédérales du 10 juin 2007 avec en 4e position un certain Emir Kir (PS) qualifié (notamment) de négationniste par une décision judiciaire.
Ouvrant la séance avec plus d'une heure de retard, Hayik Malikian, le Président du CDCA, sera fortement critiqué par plusieurs autres orateurs pour ses propos jugés turcophobes ("L'Empire ottoman, une structure politique raciste") et remplis d'amalgames ("Tariq Ramadan, un personnage sulfureux suspecté d'antisémitisme").
Des propos qui mettront mal à l'aise le sénateur François Roelants du Vivier (FDF) qui précisera d'emblée qu'il est pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne pour autant que les conditions, dont la reconnaissance du génocide, soient réunies . "Il est difficile d'incriminer le Turc ordinaire qui se voit infligé une vérité officielle. Ce n'est pas non plus par l'adoption d'une loi qu'on changera les mentalités mais par un long travail culturel. Sur le terrain politique, quand quelqu'un est élu, il est un élu de ce pays et pas d'un autre pays. C'est une vérité qu'il faut parfois rappeler", conclut-il en référence au lobbying intensif d'Ankara sur les élus d'origine turque en Europe.
Yolande Mukagasana, rescapé du génocide des Tutsis, enchaîne avec émotion et talent sur "la difficulté de parler d'un génocide. Comment nommer l'innommable ? La négation du génocide des Tutsis avait déjà commencée pendant sa planification. Après, il faut encore éviter les pièges politiques tendus par les médias qui n'attendaient de nous que des déclarations précisant que tous les Hutus étaient des bourreaux. C'était faux ! Tous les Hutus n'étaient pas des génocidaires et il fallait continuer la recherche des assassins de mes enfants. J'ai aussi rencontré, en Belgique, la négation de notre génocide. J'ai écrit des lettres au Sénat et à la Chambre pour demander aux parlementaires de faire quelque chose afin qu'on puisse punir les négationnistes. Chaque année, le 6 avril, que ce soit à la Basilique ou à Woluwé-Saint-Pierre, des gens commémorent les planificateurs du génocide. Je n'ai malheureusement reçu aucune réponse. Je sais qu'un génocide est irréparable mais les conséquences d'un génocide sont réparables. C'est dans ce contexte que je voudrais dire que si on se bat aussi pour la reconnaissance du génocide arménien, c'est aussi pour aider les jeunes turcs."
Radouane Bouhlal, Président du MRAX, se contentera d'abord de rappeler la position de son association : "Le débat sur l'élargissement de la pénalisation de la négation des génocides est apparu à l'initiative de la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), dans le cadre de la transposition d'une convention européenne sur la cybercriminalité. Au lieu d'élargir la pénalisation, nous aurions effectivement pu défendre la suppression de la loi de 1995 punissant la négation de la Shoa mais c'était évidemment inacceptable pour plusieurs raisons. D'abord, cela aurait été un très mauvais signal envoyé aux négationnistes néo-nazis. Ensuite, il faut savoir que la première forme d'antisémitisme concerne, d'après les plaintes enregistrées au MRAX, non pas la haine du juif émanant des Arabo-musulmans vivant dans les quartiers pauvres mais bien la négation très polie du génocide des Juifs émanant des Belgo-belges habitant dans les beaux quartiers comme Uccle. Au MRAX, nous ne voulions pas alimenter encore plus le négationnisme en proposant l'abrogation de la loi de 1995. Donc, il fallait élargir la pénalisation aux autres génocides reconnus par la Belgique pour éviter que les théories négationnistes comme la double négation (génocide des Hutus et des Tutsis) ou des manifestations visant à démanteler les monuments ne se poursuivent. Alors, on nous a dit : 'Pourquoi vous n'avez-vous pas inclus le génocide de Srebenica ?' Tout simplement parce ce problème ne se pose pas sur le terrain. Personne aujourd'hui en Belgique ne nie le génocide des Bosniaques. La pénalisation est une limitation en extrême urgence de la liberté d'expression. Donc si demain le problème se pose avec ce type de négationnisme, nous proposerons de l'ajouter. Le MRAX n'est pas opposé à la recherche historique sur le sujet et personne n'a l'intention de mettre en prison des chercheurs. Nous demandons donc aussi au législateur une clarification de la loi en ajoutant l'intention dans le chef de l'auteur du crime de porter atteinte à l'ordre public et de bafouer la mémoire des rescapés."
Le Président du MRAX évoquera aussi les difficultés rencontrées pour défendre son point-de-vue pendant ce débat : "Il était difficile de défendre un discours pénalisant dans une société où la liberté d'expression est choyée. Nous avons également dû faire face aux raisons électoralistes de certains partis dans le cadre des élections. Nous nous posons également des questions entre nous sur la stratégie poursuivie et j'avoue devant vous qu'il y a certains points qui me mettent mal à l'aise, comme votre discours d'introduction Monsieur le Président. Au lieu d'apaiser, n'avons-nous pas aggravé le conflit sur le terrain entre les Arméniens et les Turcs ? Même si la loi est adoptée, le problème restera étant donné que nous pourrons tout de même pas mettre tous les Turcs en prison. Je suis pour l'entrée de la Turquie en Europe, la Turquie est un grand pays. Cela m'embête de voir que le sujet du génocide soit utilisé par certains pour bloquer la candidature de la Turquie à l'Union européenne. Dans ce débat difficile, le MRAX a souvent été malmené par nos politiques où certains n'ont pas hésité à faire des chantages aux subsides."
Joël Kotek (professeur à l'ULB) retracera brièvement l'historique des négationnistes de la Shoa. en expliquant que "la négation de la Shoa sert principalement l'extrême droite en France. Bien que la responsabilité de l'Etat français a clairement été reconnue par Jacques Chirac en 1995, c'est avec l'émergence d'un personnage proche de l'extrême droite comme Robert Faurisson que le négationnisme prendra de l'ampleur. Faurisson parlera des prétendues chambres à gaz et du prétendu génocide des Juifs qui se fondent sur une escroquerie politico-financière dont le principal bénéficiaire est l'Etat d'Israël. La loi de 1995 n'est pas une loi mémorielle mais une loi antiraciste. Jusqu'à présent le négationnisme était un petit discours de secte mais depuis les déclarations du Président iranien et de l'organisation d'une conférence négationniste soutenue par l'Iran, c'est la première fois que nous faisons face à un négationnisme d'Etat. C'était l'une des principales différences avec les Arméniens qui combattent depuis longtemps déjà le négationnisme de l'Etat turc. Mais avec l'entrée de l'Iran dans ce type de discours, c'est la première fois que les Juifs doivent également affronter le même problème. En Belgique, on constate que le problème est loin d'être éradiqué car, en 2007, deux Belges ont décidé de rééditer et de mettre en vente dans les librairies Relay le texte des Protocoles des Sages de Sion."
Philippe Videlier (Chercheur CNRS) parlera de la "pathologie négationniste" en Turquie en fournissant une série d'exemples (les mausolées pour Enver et Talat Pacha, la redéfinition des noms scientifiques à consonnance kurde ou arménienne de quelques animaux, la propagande négationniste sur le site du ministère turc du Tourisme et de la Culture,...) inquiétants sur l'ampleur de la pression en Turquie. "Il faudra analyser l'évolution de la société turque suite à l'assassinat du journaliste Hrant Dink mais les images des policiers posant fièrement devant celui qu'il considère comme héros de la nation ne sont pas très encourageants."
Enfin, Jean-Piere Mukimbiri (doctorant à l'UCL) reviendra sur le génocide des Tutsis en abordant longuement les juridications de Gacaca comme alternative au règlement du contentieux ce génocide.
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