vendredi, janvier 19, 2007

Turquie : Hrant Dink et son dernier article prémonitoire...

Hrank Dink, le journaliste turc d'origine arménienne (né le 15/09/1954), a été abattu ce vendredi (19/01/07) assassiné à Istanbul de 3 ou 4 balles tirées par un jeune d'environ 20 ou 30 ans devant les locaux de son hebdomadaire AGOS (bilingue arméno-turc). Cible récurrente de la presse turque et des milieux nationalistes turcs, le journaliste Hrant Dink avait déjà été poursuivi à 3 reprises, et condamné une fois, sur base de l'article 301 du code pénal turc pour "atteinte à l'identité turque".

Voici la traduction d'un extrait de son dernier éditorial prémonitoire à propos des menaces de mort qu'il recevait :

"En 2002, suite à une déclaration que j'ai faite lors d'une conférence dans la ville d'Urfa précisant que 'je ne suis pas Turc... je suis de Turquie et Arménien', je suis poursuivi depuis 3 ans en justice au motif d'avoir porté 'atteinte à l'identité turque'. (...) A chaque fois, on me rend plus célèbre en me présentant comme un 'ennemi des Turcs'. Les fascistes m'attaquaient dans les corridors des tribunaux à l'aide d'insultes racistes. Ils faisaient pleuvoir des pancartes d'offenses contre moi. Atteignant les centaines, ces coups de téléphone, ces emails et ces lettres de menace augmentaient au fur et à mesure. A tout cela, je résistais en soupirant de patience et en attendant ma relaxe. Je savais que la vérité ferait surface une fois le jugement rendu et que ces personnes auraient honte ce qu'ils avaient fait. (...) La mémoire de mon ordinateur est remplie par la colère et les menaces qui me sont envoyées par cette frange des compatriotes. (Une de ces lettres a été postée depuis la ville de Bursa et elle donne l'impression d'une menace imminente de manière assez inquiétante et malgré le fait que j'ai remis cette lettre de menace au parquet de Şişli, cela n'a à ce jour abouti à rien. Je préfère noter cette information ici pendant qu'il est encore temps). Il m'est évidemment impossible de savoir combien ces menaces sont véridiques ou pas. Mais pour moi, la vraie menace et ce qui m'est le plus insupportable, c'est la torture psychologique dans laquelle je vis."

Deux suspects ont été initialement mis en garde à vue puis relaxés par la police turque. Juste après, la chaîne de télévision Star TV a diffusé les images provenant d'une caméra de surveillance et désignant un présumé "criminel" sans pouvoir formellement l'identifier.

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan (AKP) a fermement condamné le crime tout en laissant sous-entendre l'idée d'un complot anti-turc : "Le fait que les mains ensanglantées ont cette fois choisi comme victime Hrant Dink est un acte particulièrement significatif. Nous trouvons significatif que ce crime soit commis alors que le prétendu génocide arménien est à l'ordre du jour dans certains pays. Nous enquêtons et allons enquêter toutes les pistes du crime. Nous allons entreprendre tout ce qu'il faut pour éclaircir au plus vite cette affaire."

En Belgique, le Collectif 1971 rappelle dans un communiqué de presse que "même dans les autres pays comme la Belgique, les missions diplomatiques et les éditions européennes des journaux turcs mènent une campagne haineuse contre tous ceux qui ne s’allient pas à la politique négationniste d’Ankara. Sous l’impulsion de cette campagne, même les élus sur la liste des partis politiques belges sont allés jusqu’à demander le démantèlement du monument de génocide arménien à Ixelles. L’assassinat de Dink est une des conséquences tragiques de cette campagne qui constitue à nos yeux un crime contre l’humanité."

Dans un communiqué de condoléances, le sénateur François Roelants du Vivier (MR-FDF), Président de la commission des relations extérieures et de la défense, rappelle qu'il a "rencontré Hrant Dink il y a quelques mois à Istanbul. Il m'avait fait forte impression par son souci de faire évoluer progressivement, sans tapage, mais avec une grande rigueur intellectuelle, la mentalité du peuple turc endoctriné par une version officielle de l'histoire, niant délibérément le génocide arménien. Son assassinat peut être interprété comme une conséquence de ce négationnisme d'état qui apparaît de plus en plus insupportable au XXIe siècle, et singulièrement à l'aune de la candidature de la Turquie à l'Union européenne."

Gürsel Köksal, Président de l'association des journalistes turcs en Europe (ATGB), écrit dans un communiqué de presse où il évoque l'assassinat de "notre confrère, notre frère" que "la Turquie et les intellectuels turcs doivent faire face aux complots internationaux et à leurs armes fascistes qui sont derrière cette attaque. Les journalistes ont maintenant un grand rôle à jouer. L'association des journalistes turcs d'Europe est décidé avec ses confrères à faire face pour ne pas livrer la Turquie aux terrroristes fascistes, à cette culture du lynchage grandissante, au fascisme et au racisme."

Le Comité de Défense de la Cause Arménienne "demande à la Belgique de condamner cet acte et d'exiger de la Turquie qu'elle mette un terme à sa politique haineuse envers la communauté arménienne. « Nous souhaitons que les autorités belges prennent également des dispositions en matière pénale et en matière éducative pour empêcher qu'une horreur de ce genre puisse se produire sur le territoire belge où le négationnisme d'Etat turc se répand à grande échelle, en particulier au sein de la large communauté turque de Belgique ». A noter qu'avec la politique de haine qu'exporte la Turquie, il n'est pas exclu, qu'une telle horreur puisse se produire en Belgique, a conclu Hayik Malikian. Le CDCA Belgique présente ses condoléances à la famille de Hrant Dink et exprime toute sa sympathie à ses proches."


(photo : Agos)