mardi, janvier 02, 2007

Presse : Ethem Kislali menace Binfikir et Belturk

La concurrence sur le marché de la presse turcophone belge se développe si rapidement que la guerre des éditorialistes laisse petit à petit la place à la guerre des marques. Après les répliques par colonne interposée, on se dirige vers des tactiques plus juridiques. A travers un montage économique complexe, l'une des publications tente de porter le coup de grâce à ses principaux concurrents. Enquête sur le montage financier international du dirigeant d'Euroturk, Ethem Kislali, menaçant indirectement ses concurrents médiatiques de disparition...

Tout commence quand la société luxembourgeoise Eurosim SA enregistre le 21/11/2006 deux nouvelles marques auprès de la BOIP (Office Benelux de la Propriété intellectuelle) : Binfikir et Belturk. Cet enregistrement confère à la société Eurosim un droit exclusif, à l'expiration du délai d'opposition (01/02/2007), à faire usage des marques sur le territoire des pays du Benelux. Or tant Binfikir que Belturk sont déjà des périodiques en langue turque publiées en Belgique.

Alors pourquoi cette société luxembourgeoise de télécommunications, financée notamment par des capitaux panaméens, décide soudainement de débourser plus de 500 euros en frais d'enregistrement dans le but d'acquérir les droits exclusifs de deux petites publications turcophones sur le marché belge? Pour répondre à la question, il convient de chercher le commanditaire d'une telle manœuvre visant peut-être à faire taire définitivement les deux titres de presse.

Eurosim SA commercialise sur le marché belge une carte pour téléphone mobile baptisée "Belsim", un produit distribué par la société Ay Cell Network Management en plus des autres cartes concurrentes du réseau Base comme Ay Yildiz.

Ay Cell Network Management est dirigée officiellement par la femme d'affaires Saime Zilyas et officieusement par son compagnon Ethem Kislali. Proche des islamistes turcs de Milli Görüs, ce dernier est l'ex-vice président de l'Exécutif des Musulmans en Belgique, actuel Président de l’asbl CEPI et propriétaire de l’Agence EuroTurk qui édite une publication trilingue baptisée « Euroturk ». Ce mensuel Euroturk entre en concurrence directe avec d’autres publications s’adressant à la communauté turcophone belge comme Binfikir et Belturk. Est-ce dans le but d'éliminer toute concurrence que les marques Binfikir et Belturk ont été enregistrées ? Les principaux intéressés démentent être à l'origine d'une telle manoeuvre.

Interpellé sur le sujet, Saime Zilyas garde un silence gêné et précise qu' "Ethem répondra à toutes ces questions." Ethem Kislali réplique à son tour que "ce n'est pas Ay Cell mais la société luxembourgeoise Eurosim SA qui a enregistré ces marques. Nous n'avons qu'un accord de distribution avec Eurosim sur un produit précis. C'est vrai, nous conseillons ces personnes sur les marques intéressantes dans les communautés turques et marocaines. Nous avons même remis un rapport à cette société en qualité de consultant mais ce sont eux qui ont pris la décision d'enregistrer ces marques. D'ailleurs, Eurosim a enregistré une série de marques et pas seulement Binfikir et Belturk. Ils pensent peut-être lancer des produits de télécommunications sous ces dénominations mais nous n'avons rien à voir dans cette histoire." Ethem Kislali refuse donc une quelconque implication dans l'enregistrement de la dénomination de ses publications concurrentes à la sienne. "A part l'accord de distribution et de consultance, nous n'avons aucun autre rapport avec la société Eurosim", ajoute-t-il. Sauf que les sites internets belges de Belsim et d'Eurosim sont administrés par la société Ay Cell Network Management dirigée officiellement par sa compagne.

En enregistrant comme marques exclusives les noms de ses principaux concurrents, Ethem Kislali vise-t-il à faire taire définitivement la presse turcophone belge ?

"Cette manœuvre commerciale a de fortes chances de réussir compte tenu d’un précédent révélateur de la méthode mise en pratique par M. Kislali", déclare de son côté Tibet Demirel, responsable de l’agence de communication Moonshine Production. "Beaucoup de dirigeants d’entreprise sous-estiment l’importance de l’enregistrement de leur marque ou la protection de leurs droits intellectuels. Il ne suffit pas d’acheter un nom de domaine sur internet pour garantir sa survie. La négligence d’une telle action peut entraîner des dégâts importants. Prenez par exemple la marque EuroTurk. Il s’agit à l’origine du nom d’une publication éditée par Mustafa Cavusoglu ‘Euroturk Press’. Suite à l’enregistrement de la marque et des menaces de poursuites judiciaires de la part du titulaire légal, M. Cavusoglu a été forcé d’arrêter son titre. La menace légale peut donc faire de vrais dégâts. Une solution existe pour les titres menacés que vous mentionnez : enregistrer sa marque avant la fin du délai d’opposition. Une procédure stricte existe pour introduire une plainte auprès de la BOIP et il est fortement conseillé de demander l’aide d’un avocat et d’un spécialiste en communication."