mercredi, novembre 30, 2005

Si même Moureaux discrimine…

L’invitation pour que je modère le débat sur la « Gauche et le Progrès » (mercredi 30/11/2005) organisé par le Cercle des étudiants arabo-européens (CEAE) de l’Université Libre de Bruxelles date déjà du 3 novembre dernier. Très content de mon style et de mon allergie à la langue de bois, le Cercle me disait vouloir « dépasser les discours langues de bois et aller au cœur des problèmes ». Dès que j’avais entendu le nom des invités, j’avais évidemment demandé confirmation car je me doutais que - suite à la plainte déposée par Emir Kir à notre égard - Philippe Moureaux (vice-président du PS, bourgmestre de Molenbeek et sénateur socialiste) aurait pu émettre certaines réserves.

Mais visiblement je me faisais des idées. Après les contacts téléphoniques du responsable du Cercle des étudiants arabo-européens, Moureaux n’émet aucune réserve début novembre mais décale simplement la réunion du 24 au 30 novembre. Pour ne pas heurter le "calife de Molenbeek", je décide alors d’acquiescer sans broncher. Entre-temps, malgré mes réticences, le Cercle insiste à nouveau pour que je sois le modérateur du débat. « Pour plein de raisons Mehmet : ta compétence de journaliste, ta personnalité et le fait que tu es apte à poser les bonnes questions en pointant là où ça fait mal. Donc, je serai très heureux que tu puisses nous honorer de ta présence en tant que modérateur », m’écrit par mail le CEAE. Difficile de refuser après autant d’éloges et venant de la part d’un Cercle que j’apprécie particulièrement pour son dynamisme et son professionnalisme.


Aujourd’hui, à la veille du fameux débat, un message vocal atterrit soudainement sur la boîte du Cercle. C’est la secrétaire au bout du fil : « Oui, bonjour, ici la secrétaire de Philippe Moureaux. Monsieur Moureaux demande de l’excuser pour le débat de demain 30 novembre. Il ne peut y assister parce qu’il ne veut pas polémiquer avec M. Mehmet Koksal ». 17h56, la confirmation de la manœuvre discriminatoire tombe à la suite d’un contact téléphonique entre un responsable du Cercle et Philippe Moureaux en personne. C’est officiel, le « screening » politique du leader socialiste s’abat sur ma personne. A la veille du débat donc, Philippe Moureaux annonce son veto tant sur ma participation comme invité que comme modérateur. « C’est un calomniateur ! Je refuse même de lui serrer la main alors vous pensez bien que c’est inimaginable que je participe à un débat avec ce gars. Je ne gagne rien en participant à votre débat et je voulais simplement vous rendre service en acceptant votre invitation », explique Philippe Moureaux en parlant de moi au CEAE. Sa secrétaire expliquera plus tard que « suite à l’affaire Kir », je suis devenu la « tête de Turc » de certains mandataires socialistes.

Très ennuyé, le Cercle fait face à ce chantage politique. Que faire ? Voyant l’embarras des étudiants, je décide de m’effacer moi-même afin de ne pas faire capoter leur débat. « C’est dommage Mehmet car beaucoup de nos amis turcs étaient également impatients de te voir dans un débat. Mais Moureaux nous met devant le fait accompli la veille même du débat, on ne sait toujours pas quoi faire à présent. La question n'est pas tranchée pour savoir si c'est lui ou toi qu'on préfère effacer... »


La colère gronde dans les couloirs estudiantins à l’annonce du veto de Philippe Moureaux. Après quelques grosses insultes sous la ceinture à l’égard du vice-président du PS et du Parti socialiste, c’est l’indignation et l'incompréhension face à une telle décision sans appel. « C’est fou car au téléphone, Philippe Moureaux ne connaissait même pas les autres intervenants. Il s'est focalisé sur toi. Paraît-il qu’il a même demandé qui était Mohamed Benmerieme alors que c’est un assistant social à … Molenbeek ! Il ne connaissait pas non plus Dominique Decoux, la présidente du CPAS de Schaerbeek », s’étonne une autre étudiante de l’ULB.


Personnellement, en tant que journaliste, je suis assez surpris d’un veto en dernière minute venant de Philippe Moureaux. Mon ancien professeur de critique historique m’avait pourtant bien enseigné qu’il fallait toujours préserver, coûte que coûte, son esprit critique devant l’analyse politique. Je pense avoir simplement suivi son sage conseil. Je suis étonné aussi qu’il m'accuse de "calomniateur" à propos de l’affaire Kir alors que le tribunal a remis un jugement sans appel en notre faveur louant au passage notre professionnalisme à Pierre-Yves Lambert et à moi-même. Il ne refusait pas non plus de serrer ma main quand je travaillais bénévolement comme administrateur pour l’Espace mémorial de l’immigration marocaine. Je ne comprends pas cette subite hystérie anti-journaliste, sa dérive communautariste et ses récentes positions partisanes - au nom sans doute de la camaraderie - faisant preuve d’une malhonnêteté intellectuelle évidente. Je connaissais le Philippe Moureaux légèrement plus subtil dans la tactique politique et moins obtus dans la confrontation des opinions.


Soit, même sans moi, je lui souhaite néanmoins un bon débat avec les étudiants. Ils ont raison de questionner la gauche socialiste en Belgique et de réfléchir sur les stratégies pour éviter les manœuvres antidémocratiques de certains de ses dirigeants. Le titre du débat, que je ne modérerai donc pas, était : « La Gauche et le Progrès ». Visiblement, il y a encore beaucoup de chemins à parcourir avant d'associer ces deux termes. La preuve ? « In my end is my beginning », comme l’écrivait Mary Stuart, reine des Ecossais (1542-1587).


[mehmet]


* traduction : « En ma fin gît mon commencement »

PS : Je serai curieux de lire les compte-rendus des participants