lundi, novembre 14, 2005

La justice a tranché : Emir Kir est bien un négationniste, un menteur et un délinquant


La décision vient de tomber. Le Tribunal de Première Instance de Bruxelles vient de débouter le secrétaire d’Etat bruxellois Emir Kir (PS) et son avocat Marc Uyttendaele dans le procès en diffamation que le mandataire socialiste avait intenté contre les animateurs de Suffrage Universel (Mehmet Koksal et Pierre-Yves Lambert).

Le tribunal donne non seulement raison sur toute la ligne aux enquêtes et articles de Suffrage Universel mais précise en outre que les journalistes avaient raison de qualifier Emir Kir de négationniste, de menteur et de délinquant en vertu de ses agissements politiques.

A propos de la plainte, « les publications incriminées portent principalement

* sur la position de monsieur Kir relativement aux massacres et à la déportation subis par les Arméniens en Turquie en 1915-1916, qu’il reconnaît mais refuse de qualifier de « génocide » avant qu’une commission d’experts indépendants se soit prononcée sur cette qualification ;

* sur le curriculum de vitae publié par monsieur Kir et son parti où il se présentait comme titulaire d’une « Licence en sciences politiques et relations internationales » alors qu’il fut établi qu’il n’avait jamais obtenu son diplôme de licencié, étant seulement candidat en sciences politiques ;

* et sur son attitude devant le Collège de contrôle des dépenses électorales après les élections régionales de juin 2004 ; », indique la justice belge.

Mais le « tribunal constate :

- que l’article en cause met, sans aucun doute possible, ce titre en rapport avec le traitement des Arméniens en Turquie en 1915-1916 ;

- que la confusion avec le génocide des Juifs (et des gitans) commis par les nazis au cours de la seconde guerre mondiale n’est pas possible ;

- et que, partant, le « minimum de précision » réclamé par monsieur Kir est bien fourni.

Il est d’ailleurs de même pour toutes les autres publications où ce terme et celui de « Négationnisme » sont utilisés.

« Concernant la participation de monsieur Kir à la manifestation du 29 mai 2004, il ressort des pièces versées aux débats que, s’agissant de manière évidente des allégations de génocide portées contre la Turquie ottomane, le thème central en était bien : « DEFENDS LA PATRIE – REJETTE LES ALLEGATIONS DE GENOCIDE »

La pièce 7 démontre en outre que ce thème était bien présent dès l’origine et que monsieur Kir n’a pas su l’ignorer puisque le tract et l’affiche qui annoncent la manifestation en reproduisant ces deux mots d’ordre, portent la publicité de dix-huit entreprises turques qui la parrainent.

Quant à la pièce 8, elle montre des manifestants portant des drapeaux turcs et des pancartes reprenant textuellement ces mots d’ordre.

Le tribunal constate qu’aucun document n’est produit qui pourrait établir que, comme l’affirme monsieur Kir, le véritable et seul thème originaire de cette manifestation aurait été d’appuyer l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Il est également d’avis que, à supposer même que la présence d’un grand nombre de manifestants nationalistes turcs eût détourné l’événement de son objectif originaire, monsieur Kir eût dû, en politicien responsable, s’abstenir en arrivant sur place de se joindre à la manifestation, s’il ne voulait pas que sa présence fût interprétée comme un soutien à des mots d’ordre qu’il conteste.

Par conséquent, le tribunal estime établi que la manifestation avait bien pour but de refuser l’idée (autrement dit de nier) que le sort fait aux Arméniens par la Turquie ottomane en 1915-1916 a constitué un génocide. »

Après avoir lourdement insisté sur les instances nationales et internationales ayant reconnues le génocide arménien, le tribunal affirme qu’« il ressort de ces reconnaissances que le génocide arménien est reconnu non seulement par le parti de monsieur Kir, mais également par des institutions nationales et internationales parmi les plus hautes, qui se sont fondées sur des études d’historiens et des rapports scientifiques et objectifs, émanant de sources très diverses.

Le tribunal constate dès lors que la position de monsieur Kir consistant à refuser de qualifier de génocide le massacre et la déportation des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915-1916 avant qu’une commission d’historiens indépendants se soit prononcée sur la question, tend, en ignorant délibérément les nombreux travaux sérieux déjà accomplis, à reporter indéfiniment toute décision sur une telle qualification, ce qui revient dans les faits à la nier. »

« Il résulte des points qui précèdent que la qualification de « négationniste » dans le chef de Monsieur Kir non seulement ne pouvait pas être confondue avec l’attitude de ceux qui nient le génocide pratiqué par les nazis sur les Juifs (et sur les Gitans), mais n’est en outre, dans ce contexte, nullement fautive.

Outre les arguments déjà exposés, le tribunal tient à souligner que, dans le contexte du débat politique autour de cette question, débat qui continue en Belgique, notamment sur la répression éventuelle de la négation du génocide arménien, une condamnation de l’utilisation des termes « Négationniste » ou « Négationnisme » empêcherait toute discussion publique et, par là, empêcherait la presse d’accomplir sa tâche d’information et de contrôle.

Une telle intervention serait à l’évidence disproportionnée par rapport à la valeur que monsieur Kir demande au tribunal de protéger.

Il en serait d’autant plus ainsi que monsieur Kir s’est, par l’ambiguïté volontaire de son discours, lui-même placé dans la situation qui est la sienne, ne voulant pas accepter l’existence du génocide arménien pour conserver les voix des électeurs d’origine turque, mais ne pouvant pas non plus le nier ouvertement afin de ne se couper de potentiels électeurs d’autre origine, majoritairement favorables à sa reconnaissance, ni de son propre parti qui, bien que gêné par cette affaire, affirme clairement le reconnaître. »

A propos des dépenses électorales d’Emir Kir, le tribunal rappelle que « monsieur Kir a déclaré, dans la réponse écrite qu’il a faite au Collège de contrôle des dépenses électorales : ‘L’article est un article de fond qui a été écrit à l’initiative par l’auteur et correspond à la ligne rédactionnelle établie par le comité de rédaction du journal BELTURK. La publication de cet article qui est une initiative spontanée de ce quotidien, ne saurait donc être considérée comme une dépense électorale… » « Sur la publication d’informations et d’une affiche électorale sur le site de BELTURK une argumentation identique à celle qui vient d’être développée… vaut pour la publication d’information me concernant… »

« Or, il n’est pas sérieusement soutenable que ces publications ont pu être réalisées à l’insu de monsieur Kir ; comment, notamment, expliquer la présence de sa signature ? Prétendre le contraire, comme il l’a fait, relève du mensonge pur et simple », estime le tribunal.

« Quant à la qualification de « Délinquant », elle découle naturellement du fait que l’abstention de mentionner des dépenses est punie de peine de prison (huit jours à un mois) et d’amende (50 à 500 francs). Il entre dès lors dans la fonction de la presse, et ne saurait être considéré comme fautif, le fait de dénoncer, même crûment, ce genre d’agissements contraires aux principes qui fondent notre société démocratique. »

« Monsieur Kir dénonce également l’usage des termes « Emirdag ten Noode », « Turkbeekistan » et « Türk Blog inter-partis », comme relevant d’une démarche raciste et pouvant tomber sous le coup de la loi du 30 juillet 1981 réprimant la discrimination raciale. Le tribunal n’aperçoit pas en quoi ces termes, qui sont des créations sémantiques en partie humoristiques constitueraient des actes de discrimination raciale ou engageraient à en pratiquer. »

Le jugement est si limpide et sans langue de bois qu’il n’est nullement nécessaire de commenter… Enfin un bol d’air pour tous les journalistes et chercheurs indépendants travaillant sans complaisance.

Notons d'ailleurs au passage l’hommage que rend le tribunal au travail d’investigation : « A la lumière des pièces qui lui sont soumises, le tribunal constate :

- que les publications des défendeurs :

* couvrent un très large éventail d’informations nationales et internationales ;

* se caractérisent par un esprit critique et un humour souvent très acerbes ;

* qui sont la marque d’un sourcilleux esprit d’indépendance, tous les partis et orientations politiques faisant l’objet d’analyses sans complaisance ;

* mais aussi par un professionnalisme certain, notamment par la mention des sources qui figure chaque fois avec une grande précision ; »

(MK)