L'imam anversois qui conteste le screening
Nordine Taouil vient de se voir écarter de l’Exécutif des musulmans de Belgique par la procédure de ‘screening’ (avis négatif de l’Agence nationale de sécurité) instaurée par la ministre socialiste de la Justice Laurette Onkelinx.
« J’ai introduit un recours pour contester la décision comme le prévoit la loi sur le ‘screening’, explique le jeune imam de 31 ans lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Je n’ai rien trouvé dans mon dossier. Aucune personne de l'organe de recours n'a pris la peine de me poser des questions. On me demande de me défendre sans me dire ce qu'on me reproche. J'entretiens d'excellents contacts avec la communauté juive d'Anvers, je suis régulièrement sollicité pour donner des conférences sur l'islam. Je suis quelqu'un de reconnu et d'apprécié dans ma communauté. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les représentants du culte musulman en Belgique doivent être les seuls à devoir se plier à cette procédure de screening. J’ai obtenu 1.360 voix lors des dernières élections musulmanes, soit 45 % des voix dans la catégorie ‘Marocains’ à Anvers. Mon but aujourd'hui est de dire aux personnes qui ont voté pour moi que je ne suis pas un antidémocrate comme on le suggère actuellement. Je suis un musulman démocrate partisan de l’égalité. Je n’ai aucune confiance dans les informations fournies par la sûreté de l’Etat et je ne sais même pas ce qu'on me reproche. Ils n'ont pas un seul argument valable! A mon avis, la communauté musulmane doit imposer ses propres représentants au gouvernement et non l’inverse », conclut l’imam néerlandophone.
Interrogé par le quotidien flamand De Standaard (06-10-05), Nordine Taouil prouve sa parfaite intégration en jouant la carte du conflit linguistique : « D’après moi, il s’agit plutôt d’une histoire communautaire. L’Exécutif a été dominé depuis des années par les musulmans wallons. Lors des réunions, on arrivait à peine à se comprendre parce les Wallons ne parlent pas flamand et notre français n’est pas si bon non plus. Je plaide pour un Exécutif wallon et un Exécutif flamand. D’après moi, c’est la raison pour laquelle ils ne voulaient pas de moi en me qualifiant d’antidémocrate. »
Employé par les transports en commun flamands De Lijn, Nordine Taouil (31 ans) est né à Anvers et a 3 enfants. Après la Belgique, il a poursuivi ses études de théologie en Angleterre, en Syrie, au Pakistan et en Arabie Saoudite. Aujourd'hui, après son boulot chez De Lijn, il travaille également comme imam bénévole pour plusieurs centres islamiques dont le Centre islamique de Bruxelles dirigé par les Saoudiens de la Ligue islamique mondiale.
Que pense l’Agence nationale de sécurité de M. Taouil ? « Considérant que Monsieur Nordine Touail entretient, d’après des informations qui en vertu de l’article 22 dernier alinéa de la loi du 11/12/1998 ne seront pas plus amplement détaillées, des conceptions qui vont à l’encontre de l'ordre démocratique et de l'exercice des droits fondamentaux individuels, des conceptions pour lesquelles il milite activement aussi bien sur le territoire intérieur qu’à l'étranger. » Suite cet avis, Nordin Taouil invoque devant l’organe de recours son casier judiciaire vierge et demande ce que les services de renseignements entendent par « milite activement aussi bien sur le territoire intérieur qu’à l’étranger ». Les services de renseignements préfèrent alors se retrancher derrière le secret des sources.
Certaines critiques invoquent une interview qu’il aurait accordée à P-Magazine où il défendrait l'ex-régime des talibans en Afghanistan. « C’est tout à fait faux, je ne défends pas les talibans. Il faut lire la totalité de l’entretien afin de comprendre le contenu de la publication. D’ailleurs, l’article avait pour titre : ‘l’imam contre toutes les formes de violence’ » D’autres expliquent sa popularité par ses apparitions sur la chaîne de télévision saoudienne Iqraa. « Je ne faisais que traduire les émotions d’un converti en pèlerinage à la Mecque », se défend Taouil.
Malgré tout, l’organe de recours explique dans son avis négatif que « les informations classifiées proviennent de sources très diverses, y compris des sources étrangères, sur une longue période et que ces informations paraissent pertinentes dans la recherche de l’équilibre entre la défense du plaignant et la nécessité de la sécurité collective. » Et donc, bien que jugé recevable, l’organe déboutte le plaignant et confirme l’avis négatif des services de renseignements.
Le magazine flamand MO* (octobre 2005) a posé justement la question à Nordine Taouil - qualifié à tort de membre de l’Exécutif - pour savoir s’il conviendrait d’expulser les prédicateurs de la haine comme les imams radicaux. « Pour l’instant, les autorités publiques négligent l’Exécutif des musulmans et préfèrent envoyer des espions qui rapportent les discours des imams à la sûreté de l’Etat, un peu comme durant l’ex-Union soviétique. De plus, les informateurs transforment souvent les discours des imams afin de les présenter sous leur mauvais jour. En Belgique, il y a peu de chances que des imams lancent des appels à la violence étant donné que la communauté musulmane est ici très paisible et prête à protéger notre pays, la Belgique, contre la lâcheté. S’il existe des prédicateurs de la haine en Belgique, alors ils opèrent en dehors des mosquées. »
Dans sa lettre confidentielle datée du 19/09/2005, la ministre de la Justice Onkelinx (PS) précise qu’ « étant donné l’avis négatif des services de sécurité nationaux, par ailleurs confirmé en annexe par l’instance de recours, je ne pourrais pas communiquer au président de l’assemblée générale des musulmans de Belgique que votre désignation pour un mandat au sein de l’Exécutif des musulmans de Belgique ne mènera pas à une objection de ma part ». Double négation diplomatique pour dire que la ministre s’opposera à la candidature du représentant musulman à l’Exécutif même si l’assemblée générale en décide autrement.
De son côté, Nordine Taouil menace à présent de démissionner de l’assemblée générale des musulmans et introduire un recours au Conseil d'Etat. Cinq autres personnes dans le même cas songeraient à lui emboîter le pas afin de mettre en difficulté la représentativité et la légitimité de la nouvelle assemblée.
Reprenons maintenant les arguments à l’encontre du nouvel organe chef de culte : manque de représentativité, manque de légitimité, manque de prise en compte de l’intérêt des musulmans flamands. En si peu de temps, le nouvel organe chef de culte a réussi à recueillir étrangement … les mêmes critiques émises par Laurette Onkelinx pour mettre au tapis le précédent Exécutif et organiser de nouvelles élections générales.
Mehmet Koksal
plus d'infos : http://www.minorites.org/article.php?IDA=12220
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