mardi, octobre 11, 2005

La Cour d’arbitrage légalise l’ingérence dans le culte musulman


Dans son arrêt du 28 septembre 2005, la Cour d’arbitrage rejette le recours en annulation introduit par l’équipe sortante de l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) et donne raison sur toute la ligne à la ministre socialiste de la Justice et des Cultes, Laurette Onkelinx. L’équipe EMB (Mohamed Boulif e.a.) contestait notamment la mise en place d’une commission pour l’organisation des élections générales musulmanes et l’organisation même de ces élections par la ministre de la Justice contre l’avis de l’assemblée générale et l’Exécutif des musulmans de Belgique. Se basant principalement sur les déclarations de la ministre de la Justice lors des travaux préparatoires, la Cour donne donc raison à Laurette Onkelinx sur base des déclarations de … Laurette Onkelinx, ministre de la Justice, en commission « Justice » du Parlement.

La Cour d’arbitrage estime que « la loi attaquée n’a pas pour objet de conditionner l’exercice individuel ou collectif d’une religion ou de limiter la libre organisation d’un culte. Elle se borne à créer une commission chargée d’organiser la procédure électorale qui mène à la désignation d’un organe représentatif, susceptible d’être l’interlocuteur des autorités publiques en vue de la mise en œuvre de l’article 181 de la Constitution. » « En adoptant la loi attaquée, le législateur entendait donc conférer une portée concrète à la reconnaissance du culte musulman et permettre à ce dernier de bénéficier, au même titre que les autres cultes reconnus, des avantages financiers liés à un tel statut. »

« En particulier, cette commission doit respecter les recommandations du rapport sur les ‘modalités relatives à la formation d’un organe Chef de Culte pour les musulmans de Belgique’, rédigé par les représentants de la communauté musulmane, qui se prononce en faveur d’un système d’élections et qui définit les conditions d’éligibilité (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-1275/007, p. 8). Le législateur se garde donc de toute appréciation sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci et n’intervient pas directement dans la désignation de l’instance représentative du culte reconnu, qui tiendra compte des différents courants traversant la religion musulmane en Belgique. » « Il s’ensuit que la loi attaquée ne s’ingère pas de manière disproportionnée dans la liberté des cultes. »

Sur l’ingérence dans l’organisation des élections anticipées et générales pour le culte musulman, la Cour justifie la décision de la ministre de la sorte : « Compte tenu des spécificités du culte musulman, qui ne connaît ni de structure préétablie et universellement reconnue ni de clergé, ainsi que du choix du processus électif par les représentants des différents courants de la communauté musulmane, le législateur a pu raisonnablement recourir à l’élection de l’organe qui représente ce culte auprès des autorités publiques.»

Ou encore par une extrapolation raisonnablement douteuse, la haute instance juridique estime qu’« eu égard à la nécessité de donner une légitimité à l’organe de représentation du culte musulman, qui est due à l’absence de toute structure hiérarchique au sein de ce culte et à l’absence d’accord au sein de l’assemblée générale sur la manière dont son renouvellement partiel devait se faire, le législateur a pu raisonnablement considérer que seule une élection générale et anticipée des membres de l’assemblée générale des musulmans de Belgique permettrait à ce culte de bénéficier d’un organe représentatif légitime qui puisse être l’interlocuteur de l’autorité en vue de mettre en œuvre l’article 181, § 1er, de la Constitution. »

Jeu, set et match donc pour Laurette Onkelinx… en attendant sans doute un recours à la Cour européenne des droits de l’Homme de la part des membres de l’ex-Exécutif des musulmans de Belgique.

« Nous pensons effectivement introduire un recours à la Cour européenne mais nous allons d’abord consulter nos juristes sur ce sujet avant de prendre une décision, explique Mohamed Boulif (ex-Président de l’Exécutif des musulmans de Belgique). C’est purement pour le principe car les carottes semblent être cuîtes depuis longtemps sur le terrain belge à l'aide d'accords politiques. Nous savons qu’il existe une importante jurisprudence en la matière au niveau européen et en plus nous pourrions enfin sortir un peu de la conjoncture politique belge. Cet arrêt de la Cour d’arbitrage est totalement politique et ne fait que reprendre les thèses de la ministre de la Justice. Le seul motif de fond invoqué est la démission de certains membres de l’Exécutif car la Cour se garde d’entrer vraiment dans le fond du dossier. De plus, l’arrêt de la Cour d’arbitrage est contradictoire avec celui du Conseil d’Etat à propos de l’intervention disproportionnée de l’Etat dans les affaires d’un culte. Le Conseil d’Etat estime que l’ingérence était disproportionnée alors que la Cour d’arbitrage pense le contraire. Par ailleurs dans l’affaire Ben Moussa, l’auditeur admettait également le même constat d’ingérence. Nous sommes naturellement déçus pour ce dernier arrêt de la Cour d’arbitrage mais notre déception date déjà depuis bien longtemps à propos de la manière dont la gestion de notre culte est considérée. » Dura lex, sed lex.

Mehmet Koksal

plus d'infos : http://www.minorites.org/article.php?IDA=12167