Le choc des valeurs en image
Regardez bien cette photo : trois jeunes femmes portant le foulard et en train de lire attentivement une page blanche. J'ai pris cette photo le vendredi (08/06/07) c'est-à-dire à l'avant-veille du dernier scrutin fédéral lors de la deuxième manifestation des élèves de l'Athénée royal Andrée Thomas (Forest) devant le cabinet bruxellois de Maria Arena (PS - ministre-présidente de la Communauté française).
Si j'ai envie de vous parler de cette image, c'est surtout pour vous indiquer l'importance du recadrage dans le traitement d'une information. La "réalité" telle que présentée par les médias (y compris par moi-même) ne représente souvent qu'une partie d'un événement continu et toute construction journalistique souffre nécessairement d'un choix subjectif lié à l'émetteur du message. L'événement ainsi représenté apparaît aux yeux du lecteur comme une vérité figée (comme si ces trois filles continuaient toujours de lire ce document) alors que la vie continue. Et comme le temps n'est pas prêt de s'arrêter, il faut donc faire un choix pour relater les réalités afin que chacun puisse se faire une idée et prendre par exemple position sur des débats qui secouent nos sociétés (dans ce cas, il s'agit de l'interdiction du port du voile). Mais ce n'est pas parce que les réalités sont continues que tout devient automatiquement matière à information. Ce serait trop facile de meubler l'espace médiatique, après l'insertion des annonces publicitaires, en ouvrant les grandes vannes aux communications intégrales souvent inodores et incolores. On est donc souvent amené à hiérarchiser, charcuter et recadrer pour analyser un événement afin de le rendre mieux intelligible pour son lectorat. Il m'est par exemple souvent arrivé d'assister à des réunions politiques pour décider en fin de compte de ne rien écrire soit parce que je n'avais rien compris, soit parce que je n'avais rien entendu ou vu d'important à mes yeux.
Pour revenir sur la photo, j'ai surtout pris ce cliché parce qu'il s'agit en réalité d'une mise en scène. En effet, les trois élèves font semblant de lire attentivement un document afin de fournir quelques illustrations à la presse télévisée flamande. J'ai donc pris une deuxième photo avec la journaliste filmant ses sujets voilées pour son média et le résultat m'a vraiment marqué. Pourquoi ? Parce que la photo recadrée indique un contraste apparent très fort entre les filles et la journaliste qui reflète assez bien le décalage des valeurs et le délicat traitement médiatique de l'islam en Europe. C'est assez marrant de voir une pin-up flamande aux bottes de cow-boy et habillée à la mode H&M face à ce studieux tricolore féminin couvert de la tête aux pieds. J'ai eu l'impression d'être devant un tableau aux Musées royaux des Beaux-Arts.
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