Saint-Josse : La thèse du mobile politique dans l'attentat anti-kurde
"Cinq suspects, dont trois mineurs, ont été interpellés mercredi et jeudi dans le cadre de l'incendie volontaire, commis dans la nuit du 1er au 2 avril, du Centre culturel kurde, situé au 13 de la rue de Liedekerke à Saint-Josse. Quatre suspects sont en aveux. L'auteur présumé, 20 ans, a été placé sous mandat d'arrêt. La thèse d'un mobile politique est écartée à ce stade par les enquêteurs, même si les quatre suspects de nationalité belge sont d'origine turque. L'incendie serait un acte de vandalisme et les suspects n'ont pas été téléguidés, selon la police. "À première vue, il ne s'agit pas d'un acte politique", s'est réjoui le bourgmestre de Saint-Josse, qui ne minimise toutefois pas la gravité des faits", relate le quotidien populaire bruxellois.
Mes recherches sur le terrain indiquent exactement le contraire de cette conclusion et à première vue, il s'agit bel et bien d'un acte criminel à caractère politique. Pourquoi ?
Parce que des voisins, témoins de l'événement, m'expliquent que les 4 auteurs présumés (Murat C., Yunus C., Bünyamin S. et Süleyman B.) auraient crié un slogan nationaliste (En büyük Türkiye! = La Turquie est la plus grande!) en lançant la nuit du 01/04/07 leur projectile enflammé contre la vitrine de la Fek-Bel (centre kurde pro-PKK) au n°13 de la rue de Liedekerke à Saint-Josse. La motivation politique semble plus qu'évident dans ce cas.
De plus, deux ex-dirigeants de l'Association culturelle turque (extrême-droite) habitent le quartier des faits, l'un sur la chaussée de Louvain et l'autre sur la même rue de Liedekerke. Cela ne les implique évidemment en rien dans l'attentat mais cet élément pourrait peut-être servir pour décrire le contexte idéologique qui a pu influencer les inculpés. C'est d'autant plus pertinent quand on sait que l'un des 4 jeunes interpellés n'est autre que le fils d'un des deux dirigeants en question. Le background politique des 4 inculpés reste cependant secondaire dans le profil "à problème" de ces 4 jeunes du quartier dont 3 sont mineurs (environ 16 ans).
Echec scolaire, échec social et échec professionnel, la catastrophe sociale est courante dans le quartier. "L'un des inculpés passait, par exemple, son temps à jouer au "bingo" (ndlr : jeu de hasard électronique) dans les cafés du coin sans aucune perspective d'avenir", m'explique un commerçant du quartier. Les véritables commanditaires auraient-ils profité de la situation précaire de ces jeunes pour les inciter à commettre un acte ? Ou bien, ces jeunes en quête de repères et de reconnaissances ont-ils décidé d'accomplir gratuitement un tel crime sur base des "bons exemples" véhiculés quotidiennement par certains médias populaires turcs ? A force d'entretenir le complot mondial des forces impérialistes contre les gentils militaires turcs et à force de créer de bons héros nationalistes et mafieux dans les séries populaires (cf. La Vallée des Loups) à destination d'une communauté globalement connectée à des chaînes par satellite, est-il encore pertinent de s'étonner qu'un tel acte se produise à 3.000 km de la polémique kurde ?
Pour pouvoir recouper toutes les sources, je me suis rendu hier (05/04/07) vers 22h16 dans le local des Loups-gris schaerbeekois afin d'avoir la version du Président de l'Association culturelle turque sur ces événements. "Vous avez évoqué le fameux communiqué portant notre symbole, trois demi-lunes. Je tiens à vous préciser que nous avons nous-même remis une copie de ce document à la police car nous n'en sommes pas les auteurs, m'explique le Président Musa "Dede" Saglam. C'est effectivement notre symbole mais nous n'avons jamais écrit ce communiqué. Quelqu'un avait affiché ce document sur notre porte il y a environ une dizaine de jours et j'avais moi-même décroché l'affiche à 9h00 du matin. Deux ou trois jours auparavant, un portrait d'Apo [ndlr : Abdullah Öcalan, dirigeant des séparatistes du PKK] avait également été placardé sur la façade extérieure de notre local. Je ne pense pas que c'est un membre du PKK qui a affiché ce poster mais j'ai le sentiment qu'un groupe essaye d'exciter les deux camps en vue de provoquer des affrontements. Je vous assure... si je savais qui avait perpétré ce crime, je le dénoncerai moi-même à la police. Cela fait 36 ans que je milite au sein de la mouvance nationaliste et je peux vous assurer que nous n'avons jamais inciter des jeunes ou des adultes à accomplir des actes illégaux. Le lendemain des faits, j'ai vu les images des jeunes qui manifestaient en faisant le signe des Loups-gris. Ce sont des jeunes fanatiques qui n'ont rien avoir avec nous. Nous condamnons fermement les personnes qui ont mis le feu dans ce local et nous prenons nos distances par rapport à ces jeunes qui manifestent en faisant le signe distinctif des Loups-gris".
Une différence de taille persiste entre l'affiche que j'ai photographiée sur la Chaussée de Haecht et celle remise par l'association des Loups-gris à la police : le numéro de GSM renvoyant vers un répondeur (voicemail). Ce numéro ne figure pas sur le document remis aux enquêteurs mais il pourrait être pisté en vue de découvrir l'identité du rédacteur du communiqué nationaliste.
L'autre indice qui me fait croire à une manoeuvre d'agitprop de la part d'un groupe indéterminé est l'apparition, le jour des faits, des inconnus motorisés faisant le tour des cafés turcs de Saint-Josse et Schaerbeek afin d'ameuter la population vers le lieu du crime dans le but de provoquer des affrontements. "J'étais présent lors de la contre-manifestation des Turcs le lendemain de l'incendie, m'explique un témoin. Il y avait environ 70 jeunes (quartier Coteaux, rue Verte, chaussée de Haecht). A cela tu rajoutes environ 15 personnes habillées en costume cravatte se trouvant derrière les jeunes, ils étaient trés calme et âgés entre 30 et 50 ans. J'avais l'impression qu'ils avaient donné des consignes aux jeunes. Autour de ce groupe, on retrouvait d'autres jeunes marocains du quartier qui ne faisaient qu'assister aux événements comme lors d'un spectacle."
Manipulation ou provocation, acte politique ou vandalisme gratuit, chacun ira de son commentaire dans une affaire qui est encore loin d'être totalement élucidée. La rapidité des enquêteurs aura tout de même permis de couper court à certaines rumeurs sur les auteurs des faits.
Alors que la tension reste toujours d'actualité, l'Association culturelle turque de Schaerbeek organise ce dimanche (08/04/07) "une soirée d'hommage, après la prière de l'après-midi, en l'honneur de notre 'Basbug' Alparslan Türkes ainsi que pour nos martyrs. La réunion sera dinatoire. Tous nos compatriotes y sont conviés". Décédé d'une crise cardiaque le 04/04/97, le colonel Alparslan Türkes est le fondateur du MHP, le Parti d'Action Nationaliste, et dirigeant historique de l'extrême-droite nationaliste turque. Les Loups-gris ("bozkurtlar" en turc) sont les membres du mouvement de jeunesse proche du MHP. Cette soirée d'hommage surgit quelques jours après l'incendie criminel du 01/04/07 ayant ravagé un centre pro-PKK dans la commune voisine de Saint-Josse. Les dirigeants de l'association d'extrême droite expliquent qu'ils commémorent chaque année la mort de leur leader et qu'ils n'ont aucune intention de renchérir dans la provocation.
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