jeudi, novembre 24, 2005

Le long voyage d'Ashik Garip


Franchement, quel naze ce Asik Garip ! Alors que Deli Mahmut apporte les 20.000 piastres pour payer la dot de Shah Sinem, ce looser amoureux refuse d’accepter le crédit et préfère partir à l’étranger pendant des années pour rassembler la somme nécessaire. Accepte l’oseille et dérobe ta promise, pauvre naïf… avais-je envie de crier à la lecture de la passionnante légende traduite du karamanlica (dialecte turc) que nous offre Xavier Luffin dans la collection « La légende des mondes » publiée chez l’Harmattan. La traduction a été élaborée « à partir d’un texte en karamanlica, c’est-à-dire du turc transcrit en caractères grecs. Cette écriture était propre aux Karamanlis, des chrétiens turcophones qui vivaient autrefois en Anatolie ».

Il s’agit d’une belle histoire d’amour à l’eau de rose entre Resul, surnommé Asik Garip pour ses talents de conteur poète et musicien originaire de la ville iranienne de Tabriz, amoureux de la belle Shah Sinem, fille d’un riche notable géorgien. « Garip est trop pauvre pour réunir le montant de la dot fixé par le père de Shah Sinem. Il devra donc s’exiler pour gagner sa vie grâce à son seul atout : son talent de poète, don du mystérieux Hizir. »

Petit ouvrage d’une septantaine de pages, j’ai lu la légende d’un terminus à l’autre dans le métro bruxellois. J’avoue que l’appréciation peut dépendre de l’oreille culturelle car plus je lisais les passages, plus j’entendais chanter le fou amoureux déclarer sa flamme tantôt à sa future femme, tantôt à sa ville natale avec toujours l’obsession du rythme et de la rime.

Il ne faut surtout pas sous-estimer la force d’attraction de la prose poétique chez les jeunes issus de l’immigration turque. Cette tradition de la joute oratoire dans un combat poétique par verset interposé, typique des ashiks, nous a sans doute été transmise par les fables ottomanes de Keloglan (le garçon chauve), le plus médiatique des superhéros légendaires. Son côté espiègle, rusé et amusé nous fascinait tous à l’école primaire. Dans une classe à majorité d’enfants immigrés d’origine turque, nos pauses à la récré étaient souvent dédiées au combat poétique… qui déviait ensuite souvent vers un combat d’insultes poétiques. Même s’il faut s’insulter à bas âge, mieux vaut le faire avec le style, non ?

Tout était dans la rime, peu dans la poésie. Cependant, quand l’un d’autres nous arrivait à voler quelques larmes de joie chez les filles de sa classe à travers son alexandrin magnifique, il devenait de facto l’Ashik de la récré… jusqu’à la prochaine revanche des Ashiks du sultan.

A lire donc Le long voyage d’Ashik Garip traduit en français par Xavier Luffin. Et si vous ne possédez pas les références pour pouvoir décoder le style littéraire, il suffit de lire l’article du même auteur Sur les traces des poètes amoureux d’Anatolie dans la livraison de novembre 2005 de l’Agenda interculturel (voir www.cbai.be). Incroyable, il pense vraiment à tout cet auteur…

lire aussi : http://www.minorites.org/article.php?IDA=13294