Belgique - "Une particratie monocolore avec un parti unique"
11 mai 2005, le gouvernement belge narrive pas à résoudre son fameux problème 177, une querelle linguistique au sujet dun arrondissement électoral et judiciaire dans son système fédéral. Tous les spécialistes, dont le politologue du CRISP Vincent de Correbyter, sont requis à lendroit secret où se joue lavenir de ce dossier « BHV » qui ennuie tout le monde.
Au même moment, dans les locaux de La Fonderie (centre dhistoire économique et sociale de la région bruxelloise) en plein cur de Molenbeek, deux barbus ouvrent la séance de réflexion sur la démocratie représentative en Belgique. Pas de panique, il sagit dune « rencontre discutante » co-organisée par la Ligue des droits de lHomme et le site Résistances.be.
« On aurait dû intituler la conférence BHV. On aurait eu plus de monde », ironise le premier barbu qui sappelle Dan Van Raemdonck, Président de la Ligue des droits de lHomme. « Après les dernières élections, en prenant un verre Place de la Liberté à Bruxelles, nous avons eu lidée dune conférence sur le poids du suffrage universel. Nous votons maintenant presque chaque année mais est-ce que cela sert à quelque chose ? Parler du suffrage universel tout en noubliant pas ceux qui ne peuvent toujours pas encore voter. Comment se passe la vérification du vote ? Le seul de 5% est-il tolérable ? Tout ceci dans un cadre antipoujadiste car le but est de renforcer la démocratie participative entre deux tours de scrutin. Le principe d « accountability », notion anglaise qui se réfère au rendre compte et quon applique généralement aux ONG, devrait être également posé aux partis politiques. Les organisations non gouvernementales rendent des comptes depuis une loi de 1921, les partis politiques pratiquement pas en dehors de la sanction électorale. Les partis sont simplement des associations de fait et ce nest que très récemment que des lois régissent leurs financements publics. »
Lautre barbu, co-animateur de la conférence, sappelle Manu Abramowicz. Spécialiste de lextrême droite et animateur bénévole du site Résistances, il commente brièvement la stratégie de lutte contre lextrême droite en Belgique. « Après quelques temps, on sest vite rendu compte quil nétait pas vraiment utile de faire des manifestations devant les cafés contre Demol, Bastien ou Féret [ndlr : dirigeants dextrême droite]. Résistances est une association non politique avec pour objectif de faire de la contre information par rapport à la propagande dextrême droite. Je suis à titre personnel contre linterdiction de lextrême droite et les plus dangereux ne sont pas les hommes mais les idées de ces partis. Nous luttons contre des idées, ce quon appelle en France la "lepénisation des esprits". A la FGTB ou la CSC [syndicats socialiste et chrétien], il existait un bon quota délecteurs dextrême droite. Cest à travers un travail dexplication, quon a pu montrer que les programmes de ces partis étaient également contre les intérêts des travailleurs. Le meilleur moyen de lutter contre lextrême droite, cest encore un programme politique et la pluralité des alternatives. Dans une démocratie, le vote protestataire est tout à fait légitime. Mais quand on discute avec les gens, ils pensent navoir le choix quentre cinq partis : les quatre dominants (socialiste, libéral, chrétien ou humaniste, écologiste) et un parti dextrême droite (le VB en Flandre et le FN du côté francophone). Or, bien entendu, il y a beaucoup dautres partis politiques. »
Le politologue Pierre Blaise, remplaçant Vincent de Coorebyter pour l'occasion, se contentera dun exposé sur le système de représentation politique proportionnelle en Belgique. Basée sur la méthode de Victor DHondt publiée en 1882, le système proportionnel ne sera appliqué quà partir des élections de 1899. Blaise évoquera ensuite les différents changements dans la loi électorale passant de lapparentement provincial (répartition des voix restantes au niveau provincial pour attribuer des sièges) au seuil de 5 % introduit en 2003. « Le but des politiques avec lintroduction dun seuil minimum de 5 % des voix à atteindre pour pouvoir participer à la distribution des sièges était de lutter surtout en Flandre contre la dispersion du paysage politique. Comme chaque grand parti tournait autour des 20 %, il fallait trouver une solution pour favoriser les cartels afin de décrocher le leadership. Les adversaires de ce seuil 5 % ont relevé plusieurs arguments pour sattaquer à la mesure. Ils considèrent que lintroduction dun pourcentage minimum est une entorse au principe de la représentation proportionnelle. Cest un système antidémocratique qui empêcherait lémergence de nouveaux partis. Enfin, il y aurait une inégalité entre petites et grandes formations. Concrètement, leffet du seuil des 5 % a fait perdre à Agalev (parti écologiste flamand) 3 sièges et au N-VA (parti nationaliste flamand) un siège à Anvers et un autre au Sénat. Par contre, le Vlaams Blok-Belang a bénéficié de 3 sièges dont deux directement dus au seuil de 5%. Du côté francophone, on na constaté aucun effet tant pour les législatives de 2003 que lors des régionales de 2004. Enfin, en 2004 lors des élections régionales bruxelloises, un nouveau système peu médiatisé de groupement de listes a pris place. Pour éviter le blocage par le VB, les partis flamands ont procédé à un groupement de liste face à un autre groupe réunissant VB et la liste FIRE. Mais, les résultats nindiquent aucun effet de cette mesure. Concernant les autres modifications de la loi électorale, on pourrait encore discuter sur la réduction de moitié de leffet dévolutif de la case de tête, de la parité homme-femme ou encore de lintroduction du droit de vote des étrangers hors Union européenne lors des communales. »
Paul-Henry Gendebien, Président fondateur du parti rattachiste RWF-RBF (Rassemblement Wallonie-France et Rassemblement Bruxelles-France), prend la parole et expose le parcours du combattant des petites listes pour se présenter aux élections. « Je parlerai même de chemin de croix tant les difficultés sont nombreuses. Mais si vous le permettez, jaimerais également faire part de mon analyse des partis politiques car, contrairement à lidée reçue, je pense quon ne lutte pas vraiment contre les partis dextrême droite. On nous présente la citoyenneté en deux pôles avec dun côté le politique qui serait chargé des "choses sérieuses" et de lautre le monde associatif se présentant comme de vrais purs. La forme de lEtat monarchique, clérical et clientéliste joue également un rôle dans cette citoyenneté. On en arrive finalement à une caricature de la citoyenneté où le seul moment important se limite à la minute de lexercice du droit de vote. On assiste ainsi à une démocratie minute comme il existe aussi des cocottes minutes. Plus que dans les autres pays européens, la Belgique vit dans le régime des partis et en interne, au sein même des partis, une oligarchie avec un chef, son entourage et son cabinet. Aujourdhui, les présidents de partis sont plus puissants que les ministres. Je lai vécu avant dans ma vie de parlementaire et je le vois encore aujourdhui. Ainsi, le vote na plus deffet sur lalternance puisquelle nexiste pas. En Wallonie par exemple, on est condamné à passer par le parti pivot, le PSC avant et le PS aujourdhui. Le pouvoir wallon est aujourdhui irrévocable. Le PS est au pouvoir sans interruption depuis 1988. La situation économique wallonne est ce quelle est avec des taux de chômage à faire pâlir lex-régime tchécoslovaque. Vous pouvez faire ce que vous voulez, cest le même parti qui reste au pouvoir. On vit aujourdhui dans une particratie monocolore avec un parti unique où règne un populisme rassurant et bon enfant. Ce parti use dun populisme conservateur où il suffit davoir de bonnes têtes et impose un régime du prêt-à-penser. Le parti Ecolo était réellement une alternative crédible au début des années 90, comme létait un moment le Rassemblement wallon, mais le régime ne tolère pas lalternative et étouffe celui qui conteste limmobilisme. Il nexiste quun seul parti toléré dans ce système, cest le FN car cest un parti utile. Le Front National est en réalité la justification de ce parti unicolore unique. On ne peut certes plus vous promettre le grand soir mais on pourra quand même vous dire que lextrême droite ne passera pas. La complicité des médias est également frappante dans ce système où on ne vous parle que des 4 partis et de lautre parti utile avec les conséquences quon imagine. Tout est bon pour autant que cela sert le pouvoir en place. A cet égard, je ne résiste pas à lidée de vous citer une phrase éloquente de Valéry Giscard dEstaing : Le referendum est une bonne chose à condition que le oui lemporte. Enfin à propos du seuil des 5 %, lexplication a déjà été partiellement effleurée. On a introduit ce seuil pour obliger lex-Volksunie (Spirit et N-VA) à se fondre dans des cartels. La Belgique est le pays de la non-pensée politique. Si quelquun a des idées, cest un original. »
7 stations du calvaire
Paul-Henry Gendebien (RWF-RBF) continuera son exposé en présentant un calvaire en 7 étapes regroupant les difficultés rencontrées par les "petites" formations politiques pour se présenter aux élections.
« 1. Trouver des candidats qui acceptent : il existe une forte pression du parti dominant pour empêcher les personnes de se présenter sur dautres listes. Ainsi, le PS a fait pression financièrement sur une femme en précisant quelle pouvait oublier ses subsides régionaux pour son association si elle décidait de se présenter sur notre liste. Elle a finalement choisi le bien de ses concitoyens en refusant de se présenter sur notre liste pour sauvegarder ses subsides.
2. Recueillir des milliers de signatures : Jai moi-même fait lexpérience, il faut compter en moyenne 30 minutes pour avoir une seule signature. Le travail consiste à convaincre la personne quil ne sengage pas à voter pour nous. Mais si nous devons recueillir ces signatures, pourquoi en dispenser les partis sortants ? Si on prononce la dissolution des chambres, il nexiste théoriquement plus délu. On devrait être à armes égales.
3. Obtenir lauthentification des signatures dans les communes : il faut vérifier que chaque signataire est bien électeur pour lélection concerné dans sa commune de résidence. Or, il arrive quon ne dispose de la liste des électeurs que 8 jours avant le dépôt des listes. Certaines communes refusent de nous les fournir. De plus, tout le monde nest pas électeur pour chaque scrutin.
4. Trouver de largent : comme chaque parti, on peut compter sur des cotisations et des réserves personnelles mais les dépenses sont limitées en vertu de la loi. Par contre, les autres partis reçoivent non seulement un financement légal mais en plus un montant fixe de 1,25 euros par voix obtenue. Ainsi, le FN et le VB touchent 1,25 euros pour chaque voix obtenue en plus du financement légal des partis. Les petits partis ne reçoivent rien mais en plus ils doivent remettre des déclarations de dépenses. On le fait sans problème mais cest particulièrement injuste.
5. Numérotage : les petits partis reçoivent les numéros 15 jours plus tard après les grandes formations.
6. Mesures de la dernière minute : Un arrêté royal du 12 avril modifiait les règles de dépôt des listes alors que le dépôt effectif nest que le 16 avril. Il est impossible de réagir aussi rapidement. Les parlementaires sortants ne donnent même presque plus de signatures pour les petites listes. Je me souviens quau Rassemblement wallon, nous donnions des signatures de parlementaires aux militants communistes pour quils puissent également se présenter aux élections.
7. Les médias : cest le bouquet. RTBF ou RTL, cest le régime de la télévision dEtat. Mépris, arrogance, on vous répète sans cesse que « vous ne représentez rien ». Or, un Parlement sortant est bien sortant, donc nous devrions être tous sur un même pied. Alors, la RTBF nous avait accordé 2 minutes démission à condition de payer sa fabrication à hauteur de 2.500 euros. Pour les autres partis, cest gratuit et durant des heures démission. Je me souviens un moment quon navait que 30 secondes pour parler de notre programme pour lEurope. Jai demandé si je pouvais dire ce que je voulais, ils ont dit que je devais seulement me conformer au timing. Alors, jen ai profité pour critiquer le fait de navoir que 30 secondes sur le service public tout en renvoyant vers notre site internet pour plus dinformations. Ils ont supprimé mon passage sans avertissement. A la fin, il ne me restait que 17 secondes et je pense avoir dit réfléchissez avant de voter ou une bêtise du genre
»
Guy Van Sinoy du parti trotskyste MAS (Mouvement pour une alternative socialiste) fait part de ses propres difficultés en précisant « à propos du numérotage, le tirage était le même pour tout le monde jusquen 1981. Cest lannée où une petite formation POS a tiré le numéro 1 tandis que le PS portait le numéro 11. Du coup, ils ont décidé de modifier le système du tirage au sort. Sur les dépôts des listes de candidat, il existe une réelle discrimination. Le CDH, par exemple, a modifié sa liste la veille du dépôt alors que cétait impossible de faire autant pour les petites listes. Nous aussi avions deux fois 2 minutes (radio et TV) dantenne au tarif de 2.500 euros lheure denregistrement dans un studio vide. Impossible à payer puisque notre budget global pour lensemble de la Belgique se chiffrait à 5.000 euros maximum. Grâce aux moyens du bord avec du matériel léger, on a produit nous-mêmes nos émissions sur CD. Le tout a été diffusé un jour à minuit moins quart entre la météo et un spot publicitaire pour les frères Taloche. »
Michel Staszewski de lassociation Pour EVA (Pour une éthique du vote automatisé) résume brièvement les insécurités liées au vote électronique tout en déconstruisant des idées reçues sur ce système. « Saviez-vous que le vote électronique nest généralisé que dans deux pays européens (Pays-Bas et Belgique) ? Saviez-vous que le Parlement irlandais a refusé lintroduction dun tel système ? » Après un exposé critique sur la généralisation du vote électronique et le mutisme de la classe politique, M. Staszewski termine sa chute en nous mettant en garde : « Si vous exprimez des doutes alors vous nêtes quun paranoïaque ! »
Mehmet Koksal
Sources:
[© Reproduction autorisée avec mention obligatoire de la source: article publié par la liste www.suffrage-universel.be et www.minorites.org]
Notes:
archives : http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2661
Infos :
Résistances asbl : http://www.resistances.be
Ligue des droits de lHomme : http://www.liguedh.be
MAS (Mouvement pour une Alternative Socialiste): http://www.lsp-mas.be/
RWF (Rassemblement Wallonie-France) http://rwf.be/
CRISP (Centre de recherche et d'information socio-politiques) http://www.crisp.be/
PourEVA (Pour une Ethique du Vote Automatisé) http://www.poureva.be/
dimanche, mai 15, 2005
Inscription à :
Comment Feed (RSS)
|